Je ne sais pas s’il existe, dans le panthéon des génies vietnamiens, le Génie de la Route, mais s’il trône aux côtés de celui du Foyer, il doit avoir fort à faire. Et comme en cas de doute, on n’est jamais si bien servi que par soi-même, je propose de le seconder, à défaut de lui suppléer, en prodiguant aux grands enfants qui circulent sur les routes vietnamiennes quelques conseils, sous forme de trois commandements de base !
Les feux de signalisation, tu respecteras !
Force m’est de constater qu’au Vietnam, il y a de plus en plus d’enfants de moins de 3 ans qui conduisent des motos, que par ailleurs beaucoup de conducteurs souffrent de daltonisme aigu, et qu’il y a une réelle faillite du système éducatif, puisque presque personne ne sait lire les chiffres. Car comment expliquer autrement que si peu de gens respectent le code des feux tricolores ? Pour la plupart de ces conducteurs, le feu rouge est optionnel : parfois je m’arrête, parfois je passe ! C’est un peu comme à la loterie : avec de la chance, on ne heurtera personne, et c’est gagné ! Pour soi, comme pour l’autre d’ailleurs ! Il y a même certains feux où il devient presque dangereux de s’arrêter, sous peine de se faire rentrer dedans par la moto qui suit, et qui de toute façon estime que ce feu n’est qu’une illusion, qu’il n’existe pas et que donc il est inutile de s’arrêter !
Et pourtant, quel plaisir que de venir s’arrêter doucement au pied de ces feux sentinelles, et de prendre le temps d’admirer le spectacle de la rue, en attendant son tour d’y participer. Et parfois, le passage d’une silhouette belle à nous faire rougir nous fait regretter de devoir repartir si vite devant le vert impératif !
Piéton tu as été, conducteur tu es !
La principale caractéristique d’un piéton, c’est qu’il peut s’arrêter quand il le souhaite, faire demi-tour quand il le veut, zigzaguer selon son bon plaisir… Devenu cycliste, le piéton peut encore pousser son vélo sur le trottoir, le garer à peu près n’importe où, voire, à condition de marcher à côté de sa bicyclette, pouvoir remonter une rue à sens unique. Il peut même encore se faufiler dans certains endroits inaccessibles.
Souvent, j’ai l’impression que le Vietnamien, devenu pilote de moto ou conducteur de voiture, a conservé ses habitudes de piéton, avec en prime un phénomène remarquable : le Vietnamien, qui est naturellement de tempérament aimable et qui a l’habitude de vivre en collectivité, devient un monstre d’égoïsme et de fureur dès qu’il est sur la route ! En France, on dit que la route est à tout le monde et qu’elle doit se partager… Ici, j’ai l’impression que chacun a décidé que la route lui appartenait et qu’il n’est pas question de la partager. C’est chacun pour soi et Ông Troi (Ciel) pour tous !
Des motos roulent à toute allure, doublant à droite, à gauche, et au milieu ; des voitures arrivent, klaxon hurlant et font gicler tous les véhicules à deux roues ou à deux pieds sur les côtés de la route ; des camions fous doublent sans ralentir et sans se préoccuper de savoir si la route est libre devant eux ! Mais les pires, ce sont les bus rouges, verts, bleus, gris… Quelle que soit leur couleur, leur seule obsession est d’arriver le plus vite possible, alors ils doublent en 3e ou 4e position, envoyant au fossé tout ce qui est moins gros qu’eux. À force de les avoir eu sous le nez, en les évitant au dernier moment, je crois que je connais toutes les formes de calandre de toutes les marques de camions et de bus qui circulent ici !
Et pourtant, quel bonheur de conduire, en respectant la sécurité de l’autre et sa propre sécurité ! Et avec courtoisie, donc je vous livre quelques règles évidentes : Lorsque la circulation est fortement ralentie, laisser le passage au conducteur qui désire quitter un stationnement ou qui se présente sur une voie adjacente. Veiller à ralentir en cas de flaques d’eau, afin de ne pas éclabousser des pieds à la tête piétons et cyclistes.
En temps opportun, faciliter la manœuvre de ceux qui marquent leur intention de vouloir dépasser. Prendre soin de ne pas s’intercaler entre des véhicules dont les conducteurs gardent leur distance de sécurité. Informer de ses intentions en usant de son clignotant pour changer de file ou de direction.
En moto, ton casque tu porteras
Le casque de moto accepte volontiers de vivre avec l’être humain, mais à une condition que celui-ci possède lui-même un minimum de capacités intellectuelles. Plus le cerveau de l’hôte contient de neurones, plus le casque peut en absorber, donc plus intelligent il peut devenir, tout en laissant suffisamment à son hôte pour que celui-ci ne devienne pas un zombie. Normalement il n’y devrait pas y avoir de soucis, puisque nous possédons de 10 à 30 milliards de ces petites cellules. Seulement voilà, certains d’entre nous n’ont pas la chance d’avoir une telle dotation, et le casque ne s’y trompe pas. S’il constate que son propriétaire ne dispose pas de neurones en nombre suffisant, donc s’il considère que celui-ci est d’une intelligence limitée, il juge qu’il ne pourra pas en absorber suffisamment pour améliorer son intelligence, et il le quitte ! Il suffit de circuler dans les rues pour le constater. Suivant l’implacable logique mathématique du «pas assez de neurones, pas de casque», il abandonne certaines têtes qui n’ont de mature que l’aspect extérieur, surtout en été, ou sans doute la chaleur provoque des fuites neuronales importantes !
Pourtant, c’est si joli un casque… D’autant plus qu’il y en a de toutes les formes, de toutes les couleurs. Des uns qui vous donnent un air martial, d’autres qui font de vous une star, certains qui font ressembler les enfants à des gros bonbons… Et en plus, ça évite de perdre ses neurones en cas de chute !
Pour terminer, ce petit clin d’œil... ou coup de gueule : ce n’est pas parce que tu es étranger à ce pays que tu dois tout te permettre !
Gérard BONNAFONT/CVN