Depuis que je suis au Vietnam, pas un endroit, pas une rue, pas un village, où je ne sois passé sans être accompagné par les rires et les cris de joie d’enfants. Car des enfants, il y en a en ribambelles… Nouveau-nés, aux yeux étonnés, protégés de la chaleur par de légers tissus de tulle ; bambins aux frimousses épanouies, vacillants sur leurs jambes fragiles ; garçonnets et fillettes musardant sur le chemin de l’école en courant après les libellules… Ils égayent de leur vie exubérante la vie trop sérieuse des adultes…
Du plus petit au plus grand ! |
Jour ordinaire !
Tenez ! Regardez celui-ci ! À peine deux ans, mais il trotte comme un cabri sur son premier terrain de jeux : le trottoir…, le bien nommé ! Il n’a cure de celle qui lui court après, bol à la main, pour lui faire avaler quelque soupe ou bouillie. Sa grande joie, c’est d’essayer d’attraper les cendres des offrandes qui voltigent dans l’air chaud du matin. Et si au passage il peut tirer les poils du chat qui somnole béatement sur un tabouret, alors il rit aux éclats. Qu’importe les passants qui doivent faire des écarts pour l’éviter, il s’esclaffe à la vie, répondant en écho aux trilles de l’oiseau perché dans sa cage, qui lui envie sa liberté…
Occupé à suivre le vol d’un insecte égaré dans ce quartier, il ne m’a pas vu et vient se cogner contre mes jambes. À peine ai-je le temps de me baisser pour le ramasser que déjà il est debout, gazouillant sans me regarder un bout de phrase qui sans doute signifie «Đi ra kia !» (Dégage de là !). Je ne le saurais jamais ! Il est passé, poursuivi par sa mère…
Et celui-là ! Une dizaine d’années sans doute, pataugeant dans les flaques laissées par la pluie dans les creux de trottoir. Son fleuve à lui, ce sont les ruisseaux qui coulent le long des caniveaux. Architecte naval, il invente d’improbables esquifs avec ce qu’il trouve au gré de ses flâneries. D’une écorce d’orange, il fait un sampan qui ballote sur l’écume, avant de disparaître dans le gouffre des égouts. D’un bout de cagette, il fait un chaland qu’il charge de gravier, le laissant naviguer et s’évanouir au coin de la rue, vers d’imaginaires chantiers de construction. Sous mon regard amusé, il me lance un joyeux «Hello», sans s’arrêter, démiurge d’un monde imaginaire dans lequel je ne peux entrer…
Et tous ceux-là, garçons et filles qui se précipitent chez moi les jours où j’ai envie de faire partager ma gourmandise de crêpes. À peine ai-je fait annoncé par ma femme, héraut de circonstance, que le «bác Tây» ouvre grandes les portes de sa maison que je me transforme en joueur de flûte de Hamelin… Remontant le courant des effluves de la pâte qui grésille dans la poêle fumante, les enfants de ma ruelle quittent un à un leurs maisons, leurs jouets ou leur émission de télévision favorite, et se dirigent en groupe compact vers ma maison. Ils s’installent avec de grands rires autour de la natte de bambou tressé disposée sur le sol de la grande salle d’accueil, et regardent d’un air gourmand le «bác Tây» qui s’agite devant le réchaud.
Ils applaudissent quand la lune jaune saute dans les airs pour effectuer un salto arrière et retomber dans la poêle, juste le temps de noircir par taches croustillantes, avant d’atterrir dans la grande assiette devant eux. Ils désignent d’un doigt impatient le pot de confiture, de chocolat ou de miel dans lequel mon épouse puise en larges cuillères onctueuses pour étaler généreusement sur la crêpe fumante. Les rires et les cris de joie cessent, laissant lèvres, langues et mâchoires se consacrer à l’engloutissement de la friandise tant attendue… Et ces jours-là, ma progéniture n’est pas la dernière à exprimer sa joie, fière comme Artaban d’avoir le statut privilégié de fille du «bác Tây» !
Un grand bonjour du monde de l’enfance...! |
Jour de fête !
D’ailleurs, pour ma fille, c’est toujours la fête que je le veuille ou non ! Même et surtout le dimanche, quand j’ai envie de me reposer…À peine le petit déjeuner expédié, il faudra aller au «cho» (marché) avec maman. Le «cho» du dimanche, c’est pour ma fille l’occasion de baguenauder, au sens propre du terme, entre les étals, en tripotant tout ce qui est à portée de main, tandis que son «Tây» de papa est la proie de l’attention prédatrice des «bà» (dames), sous un œil conjugal plutôt méfiant. La fête pour l’une, le calvaire pour l’autre !
Puis, de retour à la maison, les bras chargés de l’utile domestique et de l’inutile filial, il est prévu de sauter sur la moto pour longer le fleuve Rouge, le temps que s’effectuent les préparations culinaires.
Et, après le repas, inutile d’espérer se reposer ! Cet après-midi, j’aurais, paraît-il, promis d’aller faire un tour au zoo. Endroit magique pour une petite fille de cinq ans, qui peut passer un après-midi à distribuer des cacahuètes à tous les animaux de la création, y compris ceux qui les détestent. Endroit fabuleux, où il est possible de s’installer dans un cygne multicolore qui vogue doucement sur un lac, tandis que papa s’échine à pédaler pour le faire avancer. Endroit fantastique d’où il est possible de faire ressortir un papa exténué, un énorme ballon gonflé d’hélium à la main, avec lequel il faudra traverser tout Hanoi, sans perdre la face…
D’ailleurs, en parlant de traverser Hanoi, ce qui serait bien, ce serait aussi de s’arrêter, avec le ballon, au bord du lac Hoàn Kiêm, pour déguster une bonne grosse glace, toujours en restant digne ! Ensuite, ça serait bien si, après le repas du soir, on pouvait aller se promener pour voir les lumières dont Hanoi se pare chaque nuit : un petit tour sur l’esplanade du roi Lý Thái Tô pour se mêler aux innombrables bambins qui jouent au pied de la vénérable statue ; puis un arrêt à l’esplanade Lénine, devant la Citadelle, pour faire un tour de voiture électrique ; et enfin, l’apothéose sur la place Ba Đình, où des centaines de familles viennent profiter de la fraîcheur nocturne, devant la Garde d’Honneur imperturbable.
La journée internationale de l’enfance ? C’est tous les jours ici !!!!
Gérard BONNAFONT/CVN