Ce travail, réalisé pour le compte de la verrerie Venini, fait l’objet jusqu’au 29 novembre d’une rétrospective à la fondation Cini, sise sur la petite île de San Giorgio Maggiore, juste en face de la place Saint-Marc : un écrin idéal pour accueillir ces chefs-d’œuvre multicolores.
À l’origine, «Carlo Scarpa n’était pas architecte, car à l’époque il n’y avait pas de faculté d’architecture à Venise. Il a fait les beaux-arts, d’où il est sorti à 19 ans», rappelle Marino Barovier, commissaire de l’exposition.
Scarpa commence alors à travailler pour la verrerie Cappellin, puis à partir de 1932 il assure la direction artistique de Venini, «où il va continuer à expérimenter, inventer, changer les formes et prôner le minimalisme absolu», s’enthousiasme M. Barovier derrière ses petites lunettes rondes.
Et c’est vrai que les quelque 300 œuvres exposées, réalisées il y a bientôt près d’un siècle, ont un aspect très contemporain. «Fini les pieds de verre, les anses... Fini les formes classiques!» souligne le commissaire. Scarpa met l’accent sur «le minimalisme et la géométrie : c’est un véritable visionnaire!»
Coupes, vases, bonbonnières, verres, bols, ramequins et tasses empruntés à travers le monde auprès de collectionneurs, musées et fondations illustrent cet âge d’or du verre de Murano.
Une trentaine de sections met en valeur les diverses typologies et techniques d’exécution de ces trésors aux couleurs exceptionnelles sortis des fours de l’île de Murano : vert jade, rouge sang, améthyste, noir d’encre, bleu outremer...
Ébullition créatrice
«Scarpa est un designer, un chercheur, qui a voulu connaître à fond la matière en travaillant avec les maîtres verriers», observe Marino Barovier.
Une complicité avec les artisans bien visible sur une grande photo noir et blanc où un Scarpa en complet-cravate observe attentivement un verrier travaillant le verre à peine sorti du four avec de grosses pinces de métal.
Les quelque 300 œuvres exposées sur la petite île de San Giorgio Maggiore, réalisées il y a bientôt près d’un siècle, ont un aspect très contemporain. |
À cette époque, la Biennale d’art de Venise consacrait un pavillon aux verriers de Murano, qui fut un grand foyer pour les expérimentations : «C’est pour cela qu’entre les années 20 et 70 la qualité de la production a été au sommet», commente M. Barovier.
Pour montrer cette ébullition créatrice, l’exposition présente aussi des prototypes, des ébauches et dessins originaux, ainsi que deux documentaires vidéo sur les rapports entre Venini et Scarpa.
Un moyen pour comprendre l’influence du travail artisanal sur l’œuvre de Scarpa tout en confrontant le Scarpa designer au Scarpa architecte, connu entre autres pour ses restaurations du Palazzo Abatellis à Palerme ou de la fondation Querini-Stampalia à Venise.
Intarissable sur le maestro, Marino Barovier est fier d’avoir obtenu en prêt pour cette exposition «un objet exceptionnel» : un petit bol noir à l’extérieur et vert à l’intérieur qui, exposé à la lumière, devient rouge.
«En 1951, lorsque le célèbre architecte américain Frank Lloyd Wright débarque à Venise, Carlo Scarpa le conduit à Murano où il tombe amoureux de ce bol et en commande 25 à Venini pour en faire des cadeaux de Noël», raconte-t-il.
«Mais les artisans verriers ne sont jamais parvenus à le reproduire», ajoute-t-il aussitôt avec un petit sourire, soulignant le caractère délicat et quasi-miraculeux de l’artisanat de Murano.
Parmi les autres pièces extraordinaires exposées, un porte-parapluie couleur améthyste et un vase au délicatissime motif nid d’abeille.
Ceux qui n’auront pas la chance de voir l’exposition pourront toujours se consoler avec le catalogue raisonné de 492 pages édité par la maison Skira en anglais et en italien.«Carlo Scarpa. Venini 1932-1947» - Jusqu’au 29 novembre www.lestanzedelvetro.it
AFP/VNA/CVN