Baptiser une nouvelle espèce, un véritable casse-tête

La méthode utilisée depuis trois siècles pour la classification des espèces animales et végétales est débattue par les biologistes, une réflexion qui a des conséquences sur la protection de la diversité.

Les scientifiques qui découvrent régulièrement des poissons, des oiseaux ou d'autres créatures jusque là inconnues, ou font des recherches sur des fossiles ou des micro-organismes, rencontrent des problèmes croissants pour attribuer un nom et répertorier leurs découvertes.

Le sujet a donné lieu à un débat passionné dans l'enceinte de la prestigieuse Université Yale (Connecticut, Nord-Est), mais ne se réduit pas à des arguties entre chercheurs passionnés de taxinomie. James Prosek, naturaliste et illustrateur, a réalisé alors qu'il travaillait sur un livre intitulé La Truite, une histoire illustrée, que la nomenclature proposée pour les espèces vivantes était de plus en plus inappropriée sur le plan scientifique.

Ainsi, il avait capturé une truite de ruisseau venant des torrents du Connecticut où il pêchait dans son enfance, une truite arc-en-ciel fréquente dans l'Ouest américain, et une truite brune d'origine européenne.

Toutes trois s'appelaient "truite", même si la première ressemblait plus à un omble de l'Arctique, la seconde plutôt à un saumon du Pacifique et la troisième à un saumon de l'Atlantique. "Techniquement, il n'était même plus exact de titrer mon livre +La Truite+", dit-il.

Récemment, James Prosek, des biologistes évolutionnistes et autres chercheurs de Yale et de la Smithsonian Institution de Washington se sont rencontrés pour un symposium intitulé "Donner un nom à la nature : conversation sur l'usage et les limites de la taxinomie biologique".

La controverse est née après que des biologistes eurent considéré que le temps était venu de changer la nomenclature introduite il y a 275 ans par le naturaliste suédois Carl Linnaeus, ou Carl von Linné.

Le système de Linné, dit nomenclature binominale, répartit la nature en catégories distinctes et attribue aux espèces des noms latins doubles, un nom et un adjectif, comme par exemple "Homo sapiens".

Les réformateurs présents à la conférence de Yale, notamment le paléontologue Jacques Gauthier, le directeur du Muséum d'histoire naturelle Peabody (Yale) Michael Donoghue, et le biologiste Kevin de Queiroz de la Smithsonian Institution, considèrent que le système de Linné est dépassé. "Le système de Linné ne répond plus à la nécessité de gérer les énormes quantités d'informations que nous recueillons sur la diversité", a expliqué le professeur Donoghue. "Linné a nommé environ 12.000 plantes et animaux, alors que nous connaissons aujourd'hui 1,8 million d'espèces et que nous nous attendons à en découvrir huit millions de plus", a-t-il dit au symposium.

Leur idée consiste à remplacer le système de Linné par un système dit "PhyloCode", basé sur la filiation génétique plus que sur la ressemblance physique. "Le but est de donner des noms qui aient plus de sens", a souligné Kevin de Queiroz. Mais l'adoption du PhyloCode est loin de faire l'unanimité. Un des intervenants à la conférence, le biologiste Richard Prum, considère que le PhyloCode ne résout pas les problèmes pratiques. "Je propose un registre de noms avec leur définition", a-t-il ajouté.

Organisateur de la conférence, James Prosek a une perspective plus pratique. Il souligne que les espèces auxquelles on n'a pas attribué de nom perdent la possibilité d'être protégées par les lois sur la conservation. Aux États-Unis par exemple, l'Acte sur les espèces en danger (Endangered Species Act) protège les espèces identifiées mais pas nécessairement les sous-espèces non encore baptisées. "Les noms des espèces ont un impact sur leur survie, nous devons donc manier le sujet avec précaution et discernement", met-il en garde.

AFP/VNA/CVN

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