"Aujourd'hui, vous n'êtes pas des touristes, vous faites partie de la township", assure Jeffrey Mulaudzi à six visiteurs hollandais prêts à enfourcher leurs vélos. À 21 ans seulement, il est le créateur d'une agence de tourisme à Alexandra, la plus ancienne township du pays. Cela fait trois ans que Jeffrey, un jeune noir natif de ce quartier très pauvre, organise des tours de la ville à pied ou en vélo.
Alexandra a la réputation d’être l’une des zones les plus dangereuses du pays. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
L'aventure a commencé en 2010, grâce à son professeur de hockey sur gazon qui voulait voir à quoi ressemblait l'un des présumés coupe-gorges de Johannesburg. Le professeur a adoré, et conseillé à ses amis de faire de même. À Soweto, la fameuse township du Sud-Ouest de Johannesburg, cela fait dix ans qu'un tour similaire à vélo existe. Mais rien de cela n'était organisé à Alexandra, ghetto pauvre à la réputation sulfureuse. Jeffrey s'est alors lancé sur le marché avec une idée bien précise.
"Je ne voulais pas d'un autre tour en bus, où les gens prennent des photos sans être en contact avec la population. On n'est pas dans un zoo ici!", explique-t-il. "De plus, le piège de ces tours en bus est qu'à la fin, les touristes ne se souviennent que de la pauvreté et de la saleté". En effet, à Alexandra, le risque est grand. Près de 400.000 personnes s'entassent dans 7,6 kilomètres carrés, beaucoup dans des baraquements en tôle composés d'une seule pièce. Quelque 35% de la population est au chômage, et les rues jonchées de détritus semblent bien inhospitalières pour les non-initiés.
La visite commence par une dégustation de la bière traditionnelle de la township. Assis en rond, les touristes se mélangent à la population locale. Titus, habitant d'"Alex" -nom affectueux donné par ses habitants-, a l'habitude de s'asseoir le dimanche devant ce baraquement transformé en shebeen (taverne).
Une destination des Européens
Il connaît bien Jeffrey et son tour. "Je pense que son initiative est très bonne pour Alexandra", estime Titus. "C'est bon de savoir que les Blancs apprécient les Noirs", juge ce Sud-Africain né dans un pays qui, vingt ans après, soigne encore les cicatrices laissées par le régime raciste de l'apartheid.
Des visiteurs paient 300 rands (26 euros) pour deux heures, ou 400 rands (35 euros) pour quatre heures. |
La plupart des clients de Jeffrey viennent d'Europe. "Majoritairement, les touristes sont hollandais. Il a aussi des Allemands, des Anglais, des Français et des Italiens", expose-t-il. Ils paient 300 rands (26 euros) pour deux heures, ou 400 rands (35 euros) pour quatre heures. De leur côté, les visiteurs d'un jour ne boudent pas leur plaisir. "J'ai déjà fait le même tour à Soweto", explique la Néerlandaise Mariow, hôtesse de l'air depuis plus de vingt ans, qui passe régulièrement quelques jours à Johannesburg. "C'est beaucoup mieux à Alexandra, le guide connaît très bien la township et on a vraiment l'impression d'être les bienvenus. Tous les habitants que l'on rencontre nous parlent !"
Quant aux questions de sécurité, elles restent l'une des préoccupations récurrentes des touristes. "En trois ans, je n'ai jamais eu de problème", assure Jeffrey. "Alexandra est à présent un endroit calme !" "Il y a quelques années, on ne pouvait pas se promener d'un bout à l'autre de la township sans se faire voler ou agresser", admet-il. "Mais à présent les choses ont bien changé".
Quelques touristes reconnaissent avoir eu des inquiétudes avant le début du tour : "J'avais un peu d'appréhension avant de venir, surtout pour des questions de sécurité et j'avais peur d'être mal vue en tant que Blanche dans une township noire, mais très vite on oublie complètement ce côté d'Alexandra", relate Caroline, elle aussi hôtesse de l'air.
Jeffrey ne compte pas s'arrêter là. Il a d'autres projets pour Alexandra. Il doit bientôt s'envoler pour le Cap afin de promouvoir son tour, puis il ira à Londres pour étudier les possibilités d'instaurer un système de vélo en libre service entre Alexandra et Sandton, le richissime quartier d'affaires qui jouxte la township.
AFP/VNA/CVN