Vite, prends-moi !

Pose. Sourire. Clic. Et voilà, une de plus dans la boîte… L’amour du Vietnamien pour la photogénie n’a d’égal que la passion du touriste pour le souvenir instantané figé sur papier ou sur écran. Certes, les techniques diffèrent, mais le but est le même : engranger de l’image. Aujourd’hui, je vous propose d’assister en spectateur à cette course au cliché…

L’avènement du numérique a transformé la vision de l’homme à travers sa lentille. Autrefois, l’argentique obligeait à l’économie de regards. Sous peine de se ruiner, il fallait que la prise de vue soit parfaite, la lumière adéquate, l’asa en conformité avec l’environnement. Pour un seul clic, il fallait un réglage aux petits oignons. Aujourd’hui, l’appareil photo est devenu intelligent. Qu’importe le nombre et la qualité, dieu informatique reconnaîtra les siens et, par la grâce des logiciels de traitement d’image, le pire des portraits deviendra une œuvre d’art… Allons voir de plus près ces mystérieux adorateurs du cliché sur écran !

Une pause pour la pose ! 

Vues côté touriste

N’importe où entre fleuve Rouge et Mékong. À 10h00 du matin. C’est l’heure des touristes. Œil vissé derrière l’œilleton ou figé sur l’écran de contrôle d’appareil à pixels variables, chacun observe le Vietnam selon son angle de vue…

Il y a ceux qui calculent, visent, jonglent avec ombre et lumière, déclenchent de façon stratégique. Équipement sophistiqué, parfois plusieurs appareils en bandoulière, ils sont artistes. De retour chez eux, ils vont se mettre à leur logiciel de traitement de photo. Ils vont devenir couturiers de l’image, en taillant, en recomposant, en sélectionnant. Le ciel au-dessus du Mékong deviendra de ce bleu que l’on ne voit qu’en montagne en plein hiver, les visages au teint brouillé hériteront de ces reflets que seuls les mannequins sur papier glacé peuvent nous offrir, et les rizières prendront des teintes de vert improbable. Par la magie de l’informatique, le Vietnam photographié deviendra un Vietnam impressionniste !

À côté de ces esthètes, il y a les reporters en herbe. Ceux-là mitraillent à tout va. Leurs appareils sont des aspirateurs de vue. Visages, monuments, feuilles, cailloux, insectes, air du temps… Rien ne doit leur échapper. Miracle de l’informatique, leur mémoire est numérique, aussi grande que leur carte peut avaler. Leur Vietnam est parcelle de tranches de vie, poussières de visions passagères, fragments d’existences, patchwork d’activités achevées avant d’être commencées. Le dragon du faîte d’une pagode finira son existence pixellisée entre la queue du margouillat trop agile pour être saisi par un œil artificiel et le visage flou d’une marchande penchée sur son étalage. Au pire, toutes ces images seront assenées lors de repas-diapos à des amis trop polis pour s’éclipser avant la fin d’une séance insipide qui n’intéressera que le projectionniste !

Et puis, il y a aussi la catégorie des voyeurs. À la recherche de la photo insolite, ils ne reculent devant rien, alliant parfois le mauvais goût à l’impolitesse la plus grande. Je dois avouer que si j’ai beaucoup de sympathie pour les autres types de photographes, ceux-là m’irritent parfois. Traquant «l’exotisme», ils n’hésitent pas à violer l’intimité de ceux qui attisent leur curiosité. Vieille femme étendue sur un grabat de fortune, enfants de misère mendiant au coin d’une rue, femme prenant son bain dans une rivière, autant de proies qu’ils exposeront sur papier glacé ou sur écran mural, pour montrer qu’ils sont allés au contact de la population ! Tristes trophées pour bien piètres souvenirs…

Vues côté vietnamien

Pour ce qui est de la pose, le Vietnamien… se pose là ! J’adore me glisser parmi les curieux, lors des séances photos pour les mariages. Tous les parcs, jardins, monuments célèbres, point de vue magnifique, sont l’occasion de se retrouver pour capturer avec un objectif ce couple adorable qui trônera dans son cadre, sur le mur du salon. Ce rituel est universel, et a priori il n’y a rien de bien étrange à ce qu’il en soit ainsi. Sauf qu’ici, les photographies sont scénarisées…

Le photographe devient metteur en scène. Avec les acteurs du jour, il construit des tableaux vivants de tout genre. Il y a le romantique où le marié tend une fleur à sa dulcinée qui le regarde d’un air énamouré à faire pleurer de joie la plus réticente belle-mère. Il y a le mélodramatique où la mariée assise en corolle dans sa robe, tend le bras vers son prince charmant qui semble ne pas pouvoir l’attraper comme si une sorcière lui avait jeté un mauvais sort. Il y a le sensuel où la mariée s’alanguit dans les bras de son déjà ou futur amant, tout en regardant l’objectif d’un air canaille. Il y a le traditionnel où la mariée s’appuie tendrement sur l’épaule du marié, tandis que l’artiste tourne autour d’eux en les criblant de flash éblouissant pour capter l’émotion fugitive qui pourrait surgir de deux visages compassés par l’effort à fournir pour rester dignes, malgré la chaleur étouffante, dans leurs atours de mariés. Mais le plus étonnant reste à venir…

En effet, non content de scénariser la prise de vue, le photographe, dans le secret de son laboratoire, devient peintre. Habilement, grâce à la fée informatique, il retouche les visages, fait disparaître les boutons disgracieux, les rides incongrues, maquille, lisse, embaume pour l’éternité le bonheur d’un instant. Cette pratique de la retouche est typiquement asiatique, à défaut d’être typiquement vietnamienne. Par la dextérité des photographes, chacun devient télégéniques. La preuve : la première fois où j’ai fait réaliser des photos d’identité, je ne me suis pas reconnu, et j’ai longuement hésité à m’en servir de peur que lors d’opération de contrôle, on ne me soupçonne d’usage de faux !

Mais la pose n’est pas réservée aux mariages ou aux fêtes familiales. La moindre photo est l’occasion pour celui qui en est le sujet de prendre des poses dignes des plus grands mannequins ou des plus cabots acteurs de cinéma. Et il n’y a pas d’âge pour cela. Mes banques d’images sont pleines de photos de ma fille qui, à 7 ans, prend des poses que mon regard paternel trouve parfois étrangement sexy, ce qui m’autorise à demander à l’artiste en herbe où elle apprend de telles attitudes face à l’objectif. «À l’école», me répond-t-elle. C’est comme cela que j’ai découvert que dans la cour de récréation, les petites filles, et parfois les petits garçons, jouent aux enfants stars, comme ils les voient à la télévision.

En fait, contrairement aux touristes qui cliquent par goût, par devoir ou par habitude, le Vietnamien vit la photo comme une jubilation, un plaisir simple pour le bonheur de se voir. Je te prends, tu me prends, on se prend, on pouffe de rire en se voyant, on rit des poses et on recommence. Et, si l’arrivée du téléphone portable - appareil photo - vidéo a multiplié les occasions de se photographier, le but reste le même : jouir de l’instant présent.

Comme je le dis souvent, le Vietnam vaut vraiment la photo !

                                                                                                         Gérard BONNAFONT/CVN

 

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