En 1945, l’abdication de l’empereur Bao Dai, 13e et dernier souverain des Nguyên (1802-1945), la dernière dynastie impériale vietnamienne, a mis officiellement le point final au métier de brodeur des costumes royaux du village de Dông Cuu. Les villageois ont dû s’orienter vers la broderie d’articles d’usage quotidien ou au service des fêtes. Aujourd’hui, difficile de rester indifférent devant les broderies colorées de toutes sortes produites par les habitants de Dông Cuu.
À Dông Cuu, le nombre d’artisans ayant auparavant participé à la broderie des costumes de la cour royale des Nguyên restant encore vivants se compte sur les doigt de la main |
Désormais, le village se concentre sur la production commerciale de costumes pour les troupes artistiques au service des fêtes traditionnelles, festivals et carnavals. Chaque jour, des tas de marchandises attendent d’être mis sur les petits camions pour sortir du village. La broderie apporte un revenu appréciable aux habitants d’ici.
Mais les atouts de la localité ne résident pas que dans cette production commerciale qui n’exige que des techniques de broderie simples. La réputation du village provient d’une longue histoire de broderie sophistiquée réservée aux costumes royaux.
Selon les vieux artisans du village, l’ancêtre de la broderie à Dông Cuu est le Docteur Lê Công Hành (1606-1661). Sous le règne du roi Lê Thân Tông (1619-1643), ce précurseur a appris les techniques de broderie lors de missions en Chine et les a enseignées aux gens de son village natal de Quât Dông et aux villages environnants, dont Dông Cuu.
«Du XVIIe au début du XXe siècles, le village ne se consacrait qu’à la broderie de costumes royaux et était l’unique site dans le Nord ayant des brodeurs capables de pratiquer au mieux ce métier. Le village est fier d’avoir de ces brodeurs encore vivants et quelques-uns d’entre eux ont un haut savoir-faire», confie l’artisan Dô Ba Hê, 77 ans.
Un métier exigeant
Parlant de la broderie des costumes royaux, le septuagénaire Dô Ba Hê souligne les exigences. «Pour fabriquer une tunique de roi, il nous faut de six mois à un an de travail. La combinaison des couleurs et la sélection des fils sont extrêmement importantes. La régularité strictes et douces des fils est la signature des meilleurs artisans», précise M. Hê.
L’artisan Vu Van Gioi, 46 ans (droite), a réussi à restituer plusieurs costumes royaux, dont la robe de la reine Nam Phuong, épouse de Bao Dai, dernier roi du Vietnam. |
D’après l’artisan Vu Van Gioi, «les costumes de chaque dynastie royale ont été faits de différents matériaux, il a donc fallu retrouver des tissus approprié pour chaque ensemble». Par exemple, les tenues de la dynastie des Ly (1009-1225) ont été fabriquées à partir de soie et de satin.
Sous la dynastie des Nguyên, les costumes du roi comprenaient un turban, une tunique royale, une chemise, une ceinture et une paire de bottes, tous dotés de motifs brodés. En particulier, le costume se distinguait par des motifs de broderies de dragon, de soleil, de lune, d’étoiles ou de montagnes symbolisant la prospérité et la longévité.
La couleur du fil utilisé pour broder la robe contribuait à différencier le rang du porteur. Celle du roi était cousue avec de la soie des cinq couleurs primaires (bleu, jaune, rouge, blanc et noir), avec un peu plus de jaune et de bleu. La robe de la reine était de couleur violette, rouge et rose et le vêtement du prince, jaune. Les fils métalliques de la tenue de la reine étaient différents de ceux du prince et de la princesse.
«Les lignes de broderie devaient être impeccablement arrangées. Le brodeur devait observer strictement l’espace entre les dessins et les boutons. Une robe simple nécessitait quatre brodeuses qui travaillaient pendant cinq mois», précise M. Gioi.
Faire revivre la gloire du passé
La robe de la reine Nam Phuong, épouse de Bao Dai, dernier roi du Vietnam |
Actuellement, le village compte une centaine de foyers spécialisés dans la broderie commerciale. Mais peu de gens se consacrent à la conservation et à la valorisation des modèles anciens. Vu Van Gioi est l’un des rares artisans à chercher à restaurer des costumes des rois et des reines de la dynastie des Nguyên. Cet artisan de 46 ans a passé de nombreuses années à tenter de reproduire des costumes royaux, dont les tuniques royales.
En 1998, après quatre années de recherche, M. Gioi a réussi à broder la robe du prince héritier de la dynastie des Nguyên. Après plus de 15 ans de fabrication de costumes royaux, il a reproduit 30 ensembles de vêtements pour les rois, reines, princes et princesses.
«La reproduction des costumes royaux, en général, et des tuniques du roi, en particulier, nécessite un travail méticuleux et précis à chaque étape, y compris la sélection des soies, des fils, de la teinture et des motifs», précise M. Gioi, qui a dû étudier des motifs sur des stèles anciennes et des pagodes et maisons communales, et faire des recherches auprès d’anciens brodeurs de son village.
Linh Thao/CVN