Alors là, chapeau

Au Vietnam comme ailleurs, il y en a qui sont nés coiffés, d'autres peuvent porter le chapeau, et certains ont la tête près du bonnet ! Oui, c'est bien de couvre-chef dont il est question ici, mais pas de n'importe lequel…

 

Sous le nón lá, tous se ressemblent ! Photo : Gérard/CVN


Tout commence il y a si longtemps que même les rochers de la baie de Ha Long ne s'en souviennent plus. Sans doute fatigué de servir de sac de frappe aux pluies torrentielles et aux rayons brûlants du soleil, quelqu'un a inventé le chapeau parasol-parapluie !
D'une ossature en bambou recouverte de feuilles de latanier, il a fabriqué cette drôle de coiffure pointue : le nón lá. Littéralement "cône de feuilles", l'usage en a simplifié le nom pour ne retenir que nón, le cône. Voici un petit galurin bien pratique, tellement qu'il s'invite un peu partout à en devenir un des clichés du pays.

Chapeau bas

Le touriste qui débarque à l'aéroport à Hanoi a plus de chances que celui qui arrive à Hô Chi Minh-Ville. En effet, l'aéroport du second se trouve quasiment en ville, alors que celui du premier fait traverser un brin de campagne aux nouveaux arrivants pour les conduire à leur hôtel. Plus probable dès lors de voir buffles et chapeaux coniques dans les quelques rizières rescapées de l'urbanisation galopante sur la trentaine de kilomètres qui conduit au Vieux quartier de Hanoi que d'en croiser sur les avenues encombrées qui mènent au marché Bên Thành de Hô Chi Minh-Ville.
D'ailleurs, c'est une des premières exclamations qui fusent dans les taxis qui s'entremêlent en direction du fleuve Rouge : "Oh ! T'as vu les chapeaux pointus ?". Turlututu, chapeau pointu, nous sommes enfin en Asie. Car, cette symbiose entre nón et Asie, et surtout Vietnam, est soigneusement entretenue par toutes les publicités touristiques qui jalonnent Net et revues spécialisées. À tel point que passer par le Vietnam sans rapporter un de ces chapeaux relève du crime de lèse-tourisme ! Sauf que le bougre ne se laisse pas apprivoiser aussi facilement...
En effet, si acheter le nón lá est relativement simple, tant boutiques, marchands ambulants et marchés de campagne en regorgent, le ramener dans ses bagages est une autre affaire :
Le mettre dans sa valise ? Ceci impose une rigidité et une contenance de la valise suffisante pour que le cône ne se transforme pas en galette. Pour lui éviter ce funeste destin, d'aucun décide de le bourrer de linge sale et de le caler tant bien que mal avec le reste de ce qui doit passer à la machine à laver au retour chez soi. Rien qu'à l'idée que durant une vingtaine d'heures, ce qui est conçu pour coiffer la tête cohabite avec ce qui est destiné à recouvrir une autre partie du corps, j'en frémis d'horreur.
Le conserver à la main ? Empaqueté ou non dans un sac plastique à l'effigie de l'endroit où il a été acheté, le fier chapeau pendouille tristement à bout de bras, à la ceinture ou accroché tel un jambon, à la courroie du sac à dos. Brinqueballé dans des véhicules aussi divers que trains, autocars, motos au fur et à mesure des kilomètres, il perd progressivement sa forme originelle pour ressembler à un accordéon. Le coup de grâce lui étant asséné, quand il franchit les milliers de kilomètres qui le conduisent chez son nouveau propriétaire, dans les coffres à bagages de l'avion.
Pendant des heures, au gré des turbulences et des secousses, il va subir les effusions prononcées de valisettes ventrues qui ne mériteraient que la soute. Que reste-t-il à l'arrivée du cône parfait, assemblé avec art par les mains expertes des artisans du village de Chuông ou d'ailleurs au Vietnam ?
Reste l'ultime choix : le porter sur la tête. Somme toute, la logique même ! Sauf que si cette option semble séduisante, au moins jusqu'à l'embarquement à l'aéroport, il en est autrement une fois arrivé à destination. Nonobstant le sort qui est réservé au nón lá dans son coffre à bagages, je prédis un grand moment de solitude au porteur de chapeau quand il se trouvera dans le RER (ou son équivalent) à 07h00 du matin, en compagnie des banlieusards partant à leur travail !
Si, malgré tous ces avatars, le chapeau conique a réussi à conserver bonne figure, il finira sa vie loin de ses rizières de naissance, accroché au mur, tel un trophée de safari.
Ce qui fera dire aux hôtes de la maîtresse de maison : "Tiens, vous êtes allés au Vietnam !". Et si le nón poussiéreux pouvait parler, nul doute qu'il dise : "Oui, et si je pouvais retrouver ma chaleur et ma pluie, j'en serais fort heureux !". Ceci étant, par la magie de la créativité humaine, certains nón continuent à profiter de températures tropicales, transformés qu'ils sont en abat-jour ou luminaires, jusqu'au jour où l'incandescence de l'ampoule les transforment en phénix de bambou.

Coups de chapeau

Mais ne sous-estimons pas l'intelligence du nón !
En effet, de simple couvre-chef adapté à tous les temps, il peut endosser bien d'autres rôles. Il sert ainsi de contrepoint à l'élégance féminine lorsqu'il recouvre les longues chevelures soyeuses de jeunes femmes en áo dài (tunique traditionnelle des Vietnamiennes) qui se font photographier dès qu'il y a un rayon de soleil et des fleurs. Les silhouettes graciles des étudiantes de Huê (Centre du Vietnam) qui se promènent, bras dessus, bras dessous, avec leur tunique blanches dont les pans volètent sous le souffle du vent, et qui cachent leur sourire derrière leur nón lá, à quelque chose de l'envoûtement et de la fragilité. Pratique aussi pour conter fleurette, quand l'artiste se pare de poèmes en papier découpé, glissés entre les feuilles de latanier, et que l'on peut lire à contre-jour en levant le chapeau vers le soleil. Séduisant en diable, quand il flatte la coquette en se dotant d'un miroir incrusté à l'intérieur. Ne croyez pas alors, messieurs, que la demoiselle joue la timide quand elle masque son visage d'un nón pudique. Au contraire, elle vérifie si son regard vous fera bien chavirer ou si ses lèvres vous donneront bien envie de goûter au fruit défendu…
Mais le futé peut aussi avoir d'autres utilités : chasse-mouches improvisé pour les(dames) des marchés qui l'agitent d'une main nonchalante au-dessus des gîtes à la noix, éventail de fortune pour le travailleur fatigué qui s'assoupit dans son hamac, panier d'occasion pour transporter fruits ou œufs… Je l'ai même vu se transformer en cloche à provision sur la table d'une ménagère !
Pratique et astucieux, il n'a qu'un seul défaut : pour le porter, il faut avoir des cheveux ! En cas de calvitie avancée, de crâne rasé ou de tonsure cultuelle, le charmant cône se transforme en une cruelle couronne d'épines. Les aspérités des tiges de bambou deviennent autant de piques acérées qui grattent, irritent, griffent le cuir chevelu. Et, si mathématiquement une sphère inscrite dans un cône se résume ainsi, Σє{h1(Σ0),h2(Σ0)}, physiquement un cône sur une sphère ne tient pas la route et à une fameuse tendance à se baguenauder de droite à gauche et d'avant en arrière, ce qui au mieux vous en fait baver des ronds de chapeau, et au pire vous rend parfaitement ridicule.
Et si, pour vous parler du nón lá, j'ai dû travailler du chapeau, je ne lui en tire pas moins mon chapeau !

Gérard BONNAFONT/CVN

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