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Un métier traditionnel assuré par les femmes. |
Dans les provinces montagneuses du Nord du Vietnam, les femmes H’mông font face à de nombreux obstacles à l’emploi. Les contraintes sociales sont particulièrement prégnantes, bien souvent, dans les zones rurales, elles sont cantonnées aux tâches domestiques, à la responsabilité des enfants et à l’élevage des bêtes.
À 35 ans, Sùng Thi Si est mère de deux enfants et assume le rôle de femme au foyer et d’agricultrice tout en étant membre active de la coopérative Lanh Trang du hameau de Sa Phin A, district de Dông Van, province de Hà Giang. Son mari Vàng Mi Lu est maçon, un métier qui exige une présence constante sur les chantiers, mais ne garantit pas pour autant un revenu fixe.
“Auparavant, chaque dépense de ma famille, aussi minime soit-elle, dépendait entièrement de mon mari. Notre vie était précaire, je ne pouvais même pas réunir de quoi acheter des crayons pour mes enfants”, raconte-t-elle au Courrier du Vietnam, la gorge serrée. Découragée et impuissante face à cette situation de pauvreté, elle a dû faire face à aussi des violences de son mari qui buvait souvent.
Surmonter les difficultés
Malgré sa situation, Sùng Thi Si a persisté à rechercher un emploi pour subvenir à ses besoins. En 1995, la province de Hà Giang a lancé des formations professionnelles dédiées spécialement aux ethnies minoritaires, dont les H’mông. Sans hésitation, Mme Si a choisi de suivre un cours sur le tissage de brocart à partir du lin blanc.
L’année 2017 marque un tournant important dans sa vie, puisque Vàng Thi Câu, présidente adjointe de l’Association des femmes du district de Dông Van et également fondatrice de la coopérative Lanh Trang, l’a persuadée à y entrer avec une vingtaine d’autres femmes en situation difficile de la région.
Hô Thi Câu (gauche) et Sùng Thi Si. |
Depuis, Mme Si a persévéré dans l’apprentissage. Grâce à son assiduité et à ses efforts acharnés, elle a acquis des compétences solides et accompli aujourd’hui ses tâches rapidement et efficacement.
Le revenu mensuel de 3 à 5 millions de dôngs et les allocations pour personnes issues des minorités ethniques lui permettent ainsi d’envoyer ses deux enfants à l’école.
“Je suis devenue une femme active. L’année dernière, ma famille a réussi à sortir de la pauvreté”, se réjouit-elle avec fierté.
Chaîne de production fermée
Comme Sùng Thi Si, la condition de vie de Sùng Thi Dinh s’est améliorée nettement grâce au tissage de brocart à partir du lin blanc. “Lorsque mon revenu dépendait essentiellement de la culture sur brûlis, j’avais du mal à joindre les deux bouts. Mais ça va beaucoup mieux maintenant grâce à la coopérative Lanh Trang”, explique-t-elle.
Très élégante dans sa tunique traditionnelle H’mông, Vàng Thi Câu, cheffe de l’équipe de production de la coopérative nous accueille avec un doux sourire. Cette femme au visage radieux nous présente avec enthousiasme les différentes étapes de création des tissus aux couleurs vives et attrayantes, ainsi que les produits finis.
“Plus de 120 travailleurs, dont la plupart sont les femmes, ont un emploi stable dans la coopérative. Notre chaîne de production fermée va de la culture jusqu’aux produits finis. Nos produits sont 100% naturels et sains car nous n’utilisons que des matières premières naturelles”, dévoile-t-elle.
“Nous effectuons des enquêtes dans différents hameaux. Si les foyers pauvres ont des besoins, nous les soutenons. Par exemple, si un groupe est spécialisé dans le tissage, nous l’aidons à obtenir des graines de lin afin qu’ils puissent cultiver. Nous nous engageons à acheter tous les tissus en lin qu’ils produisent. Puis, nous les ramenons à la coopérative pour les teindre et les transformer en produits finis. Enfin, nous les vendons dans les marchés domestiques ou étrangers”, ajoute-t-elle.
La coopérative Lanh Trang se trouve dans la commune de Sa Phin, district de Dông Van, province de Hà Giang |
Les premiers produits tissés à partir de lin blanc ont été introduits sur le marché en 2018. Cinq ans plus tard, en 2023, Lanh Trang a réalisé près de 4 milliards de dôngs de bénéfices. C’est un chiffre extrêmement impressionnant pour un district montagneux où le taux de pauvreté multidimensionnelle atteint 65%. Rien que dans la commune de Sà Phin, où se trouve Lanh Trang, on compte 45% de familles en situation difficile.
Pour soutenir leurs activités, les membres de la coopérative Lanh Trang ont bénéficié de différentes formations organisées par l’Association des femmes du district de Dông Van. Les femmes y ont appris à gérer un budget et leurs économies, à avoir des activités respectueuses de l’environnement et à vendre leurs produits grâce au marketing digital. Lanh Trang a donc créé des comptes sur différents réseaux sociaux comme zalo et facebook pour mettre en avant ses produits.
Les membres de la coopérative n’ont pas seulement réussi à générer un revenu pour elles-mêmes, mais elles ont également gagné en confiance en elles et en autonomie. Elles ont désormais une voix qui compte au sein de leur famille et de leur communauté. Cela a renforcé leur estime de soi et leur a donné le courage de s’exprimer et de défendre leurs droits et leurs intérêts. Les femmes de la coopérative ont véritablement pris leur place dans la société et sont devenues des actrices du changement, inspirant ainsi les autres femmes de leur communauté à suivre leur exemple. “Les conflits familiaux ont considérablement diminué et le taux de violences domestiques a chuté de manière significative”, estime Thào My Ho, vice-président de la commune de Sà Phin.
Femme entreprenante et inspirante
Lorsqu’il mentionne Vàng Thi Câu, Thào My Ho ne peut s’empêcher d’éprouver de la fierté : “Mme Câu est une femme audacieuse et entreprenante. Dans le district de Dông Van, elle a été la pionnière dans la création d’une coopérative de tissage de lin, un modèle de réussite qui a suscité l’admiration des habitants locaux. Elle a fait preuve d’une détermination sans faille et a fourni des efforts considérables pour en arriver là où elle est aujourd’hui. Mme Câu incarne véritablement l’exemple remarquable des femme H’mông de Dông Van mais aussi de Hà Giang. Elle occupe actuellement le poste de vice-présidente de l’Association des femmes du district et nous espérons vivement qu’elle soit davantage impliquée dans l’administration locale”.
De nombreuses femmes à Dông Van considèrent la coopérative Lanh Trang et Mme Câu comme un pilier moral. En rejoignant la coopérative, elles prennent de plus en plus conscience de la valeur de l’artisanat traditionnel du tissage qui peut contribuer à éliminer la faim et réduire la pauvreté de manière durable. À l’heure actuelle, la coopérative propose environ 70 produits, dont deux certifiés OCOP (One commune, one product - À chaque commune son produit) : les grands sacs et les housses de coussin carrées. Ces produits sont non seulement destinés au marché intérieur, mais ils sont également présents dans de nombreuses foires commerciales et ont réussi à percer sur le marché étranger.
Produits de la coopérative Lanh Trang. |
La première commande d’exportation de la coopérative était des porte-documents pour les délégués participant à une conférence de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Cette opportunité a ouvert la voie à de nouvelles opportunités commerciales pour la coopérative. Elle a rapidement reçu des commandes en provenance de pays tels que les Pays-Bas, l’Allemagne, le Japon et les États-Unis.
Développement de la marque “Lin blanc”
Parmi les marchés internationaux, le Laos est le pays qui passe le plus de commandes. Plus de 70% des produits en lin de la coopérative sont exportés vers ce pays. Les clients lao sont non seulement intéressés par l’achat de tissus, mais ils achètent également des fibres de lin. Cette demande croissante témoigne de la bonne réputation de la coopérative et de la qualité exceptionnelle de ses produits.
En ce qui concerne les réalisations individuelles, en 2018, Vàng Thi Câu a participé au prix de l’entrepreneuriat féminin organisé par l’Union des femmes du Centre, où elle a eu l’honneur de faire partie des trois lauréates au niveau national. En 2019, elle a reçu le prix du développement de la marque “Lin blanc” au nom de la coopérative. Insatisfaite des résultats déjà obtenus, cette femme énergie souhaite redoubler d’efforts. Elle indique que la coopérative a prévu d’élargir sa production et de diversifier ses modèles. L’amélioration du processus de production est également une préoccupation majeure de la direction de la coopérative, notamment l’augmentation du format des tissus bruts de 35 cm à 90 cm pour répondre aux besoins des clients en matière de confection de vêtements ou de couvertures.
“Mon plus grand souhait est de créer davantage d’emplois pour les femmes issues des minorités ethniques, afin de leur offrir un revenu équitable, du respect et de l’amour”, confie Vàng Thi Câu. Ce désir est désormais devenu réalité. Elle a véritablement propagé une flamme chaleureuse et aimante dans la région frontalière extrême Nord du pays.
Texte et photos : Phuong Nga/CVN