Un espace culturel des gongs et ses "chefs d'orchestre" au Tây Nguyên

Juste quatre ans après que l'espace culturel des gongs des hauts plateaux du Centre du Vietnam (Tây Nguyên) ait été reconnu patrimoine immatériel oral de l'humanité (novembre 2005) par l'UNESCO, le Festival international des gongs a eu lieu pour la première fois fin 2009 à Pleiku, ville capitale de la province de Gia Lai.

Une fête de la musique enivrante où l'on va à la découverte de l'âme de la montagne vietnamienne au travers des roulades d'un instrument dont le genre est vieux de plus de mille ans.

Baptisé "Echo des gongs et vitalité du Tây Nguyên", ce grand événement festif n'est pas fait que pour le Tây Nguyên (contrée montagneuse comprenant cinq provinces : Gia Lai, Dak Lak, Dak Nông, Kon Tum et Lâm Dông). Il a réuni un nombre important de joueurs de gongs de 24 provinces et villes du pays. Sans oublier la présence de quelque 200 scientifiques et chercheurs en arts de nationalités vietnamienne, lao, cambodgienne, thaïlandaise et japonaise.

Issus de différentes ethnies tels les Bana, Êdê, Xo Dang, Rai Rai, Gie Triêng, Ma… les joueurs de gongs profitent de l'occasion pour rivaliser d'ardeur et de talent, fiers des ensembles de gongs transmis de génération en génération au sein de la communauté multiethnique du Tây Nguyên. À elle seule, la province de Gia Lai a contribué de 5.655 ensembles de gongs, suivie de Dak Lak avec 3.400 ensembles et de Lâm Dông avec 3.000 ensembles.

Un espace sacré introuvable ailleurs. Des sons renvoyés majestueusement, dans lesquels s'entrevoient l'âme de la montagne vietnamienne qui enivre son auditeur. Et c'est au travers des sons tantôt graves tantôt aigus que l'on se rend compte d'une chose pourtant évidente : l'espace culturel des gongs s'inscrit naturellement dans l'espace de vie des ethnies minoritaires locales.

"Chef d'orchestre de gongs", qu'est-ce ?

L'espace culturel du Tây Nguyên semble s'étendre, agrémenté d'innombrables activités s'inscrivant dans le cadre de ce festival. Parmi celles-ci, la correction du timbre du gong a suscité de fortes impressions. Une manifestation qui permet aux spectateurs, connaisseurs ou profanes de cette musique singulière du Tây Nguyên, de repérer le vrai "chef d'orchestre de gongs" car il n'y en a pas d'autres qui règle le son du gong.ii "C'est lui qui a rendu l'âme et ravivé la flamme des gongs. C'est lui qui les a fait retentir en harmonie avec la nature qui les entoure, apportant ainsi la réussite du concert de gongs", observe un chercheur en musique du gong.

Le rajustement du son du gong est considéré comme une "mission sacrée", selon les termes des ethnies possesseurs de gongs. Une "mission" qui s'effectue obligatoirement à l'approche de toute fête villageoise, devant le témoignage du génie tutélaire du village. Une "mission" car "l'exécuteur doit, hormis une foi absolue, avoir une sensibilité musicale, une assiduité, une expérience professionnelle, et bien sûr des mains exercées", explique le chercheur sans cacher son admiration à l'égard de ces "experts en son" autodidactes.

Le silence règne. La foule fait un cercle autour d'un sexagénaire de l'ethnie Bana. Se déplaçant devant un orchestre composé d'une vingtaine de gongs en train de retentir, celui-ci prête un oreille attentive, puis désigne précisément le gong qui donne un son estimé comme "faux". Assis jambes croisées sur le sol, tenant le "gong fautif" de la main gauche, un petit marteau à la main droite, il frappe délicatement sur la surface du gong tout en écoutant attentivement ses retentissements. "Le gong fautif doit être corrigé jusqu'à ce que le son restitué soit en harmonie avec l'ensemble", explique l'opérateur qui s'appelle Nay Phai, du district de Krong Pa, province de Gia Lai.

"Ce truc de réajustement du son, je l'ai appris de mon père. C'est en effet un don transmis depuis trois générations dans ma famille, confie-t-il. J'ai appris à jouer au gong à l'âge de 11 ans pour devenir un bon joueur quelques années plus tard. Mais, il m'a fallu une dizaine d'années de plus pour me doter de l'oreille nécessaire et de la main habile afin de pouvoir corriger un gong". Ayant un talent réputé de par le Tây Nguyên, il est invité à aller ajuster des gongs même dans des provinces voisines comme Binh Dinh, Phu Yên...

Troquer 30 boeufs contre 60 ensembles de gongs

Amoureux des gongs, Nay Phai s'enorgueillit de sa présente collection de dix ensembles de gongs antiques dont le plus vieux date de 1800 et le plus récent, de 1945. Mais ce n'est qu'une partie de son "trésor" de 60 ensembles contre lequel il a troqué 30 buffles dans les années 1990. Une histoire des plus impressionnantes que le sexagénaire évoque avec un ton méditatif : "Ce temps là, pour une raison quelconque, nombreux étaient les gens au Tây Nguyên à vendre leurs gongs hérités de leur famille. D'autres les utilisaient comme objets d'usage quotidien. Vraiment, j'ai eu le coeur déchiré en voyant les gongs s'éparpiller et perdre peu à peu leur valeur spirituelle. Le village semblait s'attrister de l'absence du son des gongs lors des fêtes ou des funérailles". Une situation lamentable qui n'a pu laisser Nay Phai rester les bras croisés. En quelques années, il a vendu jusqu'à 30 boeufs - une belle fortune de famille - pour acheter des gongs "rabroués". "Ma maison était alors pleine de gongs. Dans cette collection comptant plusieurs centaines de pièces, j'ai constitué 60 ensembles", s'enorgueillit le sexagénaire. Depuis que la communauté multiethnique du Tây Nguyên répond à l'appel national de préserver la culture traditionnelle, la collection spéciale de Nay Phai est vue comme un "trésor" de valeur inestimable. Plusieurs villages et troupes artistiques venaient lui proposer le rachat d'un ou de certains ensembles de gongs. "Je me trouvais alors joyeux et disposé à revendre ou à offrir mes biens précieux. Tout en décidant de garder mes dix ensembles préférés", insiste-il. Ceux-ci sont d'une valeur estimée à 20 - 50 millions de dôngs par ensemble, d'après des experts.

Pour l'heure, Nay Phai nourrit de nouvelles ambitions : ouvrir des formations de rajustement de son de gong à l'intention des jeunes joueurs, et procéder lui même à la fonte de gongs. Sous sa direction méticuleuse, son petit frère Nay F'ri, son neveu Ksor Kot et son fils Kpa San ont bien hérité du métier de la famille, et ils sont tous capables actuellement de réaliser correctement cette tâche difficile. Ce alors même que son gendre a été envoyé à Phu Cat, province côtière de Binh Dinh (Centre), pour apprendre le métier de moulage d'articles en bronze.

La scène de rajustement de son du gong de Aver, 74 ans, originaire du village Kon Relang, province de Kon Tum, est non moins captivante. Ce métier, il l'a hérité de son père Ayong (décédé en 1975) dont la renommée a retentit en son temps bien loin des frontières du Tây Nguyên. Lors de ce Festival international des gongs, Aver est venu avec sa troupe de 12 joueurs amateurs qu'il a formés lui même, dans un contexte insolite. En effet, Aver est l'auteur de l'architecture de la Maison sur pilotis de l'ethnie Bana érigée il y a quelques années dans le parc du Musée de l'ethnologie, à Hanoi. En 2002, du Tây Nguyên il a été invité avec ses 30 menuisiers à monter dans la capitale à cette fin. La construction de cette maison a dû s'interrompre, faute de suffisamment de bois transporté de la forêt profonde. Pendant les longs mois d'inoccupation, "l'architecte en chef" a pensé à apprendre à ses menuisiers à jouer du gong. Et lorsqu'en 2003, suffisamment de bois de construction a é té fourni, Aver s'est retrouvé, lui, avec une superbe troupe d'artistes de gongs.

Excellent en règlement du son du gong, le septuagénaire exprime pourtant son inquiétude de ce qu'aucun de ses quatre fils ne veut suivre la "mission sacrée", transmise de père en fils. "Le nombre d'experts en son se réduit de plus en plus dans les ethnies du Tây Nguyên, dit-il. Je ne sais pas si j'aurai suffisamment de temps dans ma vie pour en former de nouveaux". Un souci qui doit être partagé par les responsables, espère-t-on.

Des "oiseaux rares" du Tây Nguyên
Ils étaient quelque 80 à participer au 1er rendez-vous des "experts" en son du gong qui a eu lieu fin 2007 à Pleiku, province de Gia Lai. C'étaient en effet des "experts autodidactes", issus des ethnies minoritaires, et pour la plupart d'un âge avancé. Se pose donc une grande question, qui laisse pensifs les responsables du secteur de la culture et des arts. Dans la communauté multiethnique du Tây Nguyên, s'il existe des dizaines de milliers de joueurs de gong, le nombre de ceux capables d'en réajuster le son n'est qu'à peu près de 80. Si chaque district de la région possède des centaines d'ensembles de gongs, il ne compte que quelques "experts" en son. Ils sont réellement des "oiseaux rares", car "la communauté ne reconnaît +la personne qui rend l'âme au gong+ qu'après des dizaines d'année de pratique", selon un "oiseau rare" du Tây Nguyên.

Nghia Dàn/CVN

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