Le 17 février au matin, devant le temple de la Littérature à Hanoi, malgré le crachin printanier et le froid, il y avait foule au temple de la Littérature à Hanoi. Les jeunes côtoyaient les vieillards, sous les yeux amusés de touristes étrangers qui se demandaient bien la raison de ce joyeux attroupement.
C'était la 9e Journée de la poésie du Vietnam, organisée chaque année le 15e jour du 1er mois lunaire, soit immédiatement après le Têt traditionnel. Créée en 2003 à l'initiative de l'Association des écrivains vietnamiens, cette journée spéciale vise à commémorer le poème du Président Hô Chi Minh sur la nuit du 15e jour du 1er mois lunaire, écrit en 1950 dans son refuge du Viêt Bac :
Nguyên Tiêu
Kim nhật nguyên tiêu nguyệt chính viên
Xuân giang xuân thủy tiếp xuân thiên
Yên ba thâm xứ đàm quân sự,
Dạ bán quy lai nguyệt mãn thuyền.
La nuit du 15e jour du 1er mois lunaire
Dans cette nuit de printemps, la lune est au maximum de sa splendeur.
Le ciel printanier se mêle aux ondes printanières.
Dans la nuit profonde, sur vagues et vapeurs,
Ayant délibéré des questions militaires
À minuit, on revient dans la barque inondée de clarté lunaire
(Version française de Phan Hoàng Manh)
L'inauguration de cette 9e édition a été marquée par la cérémonie d'accueil de la "Terre et de l'Eau". En langue vietnamienne, "Terre-Eau" désigne symboliquement la Patrie. La poignée de terre a été prélevée dans le jardin du village natal de Hô Chi Minh, dans la province de Nghê An (Centre), et l'eau puisée au ruisseau Lénine à Pac Bo, dans la province de Cao Bang, Nord, où le grand leader a vécu quelques temps après son retour secret au pays en 1941.
À l'entrée du temple de la Littérature étaient alignées les statues des écrivains et poètes qui ont reçu le Prix "Hô Chi Minh". Les visiteurs s'amassaient devant les éditions en langues étrangères du célèbre Carnet de prison du Président Hô Chi Minh et devant les calligraphes traçant d'une main souple ses quatrains.
Toutes les cours du temple de la Littérature étaient occupées. Il y avait même de jeunes "rimeurs" qui accompagnaient leurs vers de démonstrations de hip-hop, et un espace poésie réservé aux bambins… Dans la cour principale, des kiosques abritaient une trentaine de clubs de poésie de la capitale et des provinces environnantes, qui affichaient fièrement les meilleures œuvres de leurs membres.
La matinée a été marquée par un "lâcher" de beaux vers. On a choisi 50 vers parmi les meilleurs. On a écrit chaque vers sur une bande rouge attachée à un ballon que retenait une jolie demoiselle en ao dài écarlate. Après la déclamation de ces vers, les ballons ont été lâchés sous les acclamations du public. Dans l'après-midi, les activités ont continué sous un soleil radieux, jusqu'au crépuscule...
Un peuple épris de poésie
Cette Journée de la poésie a aussi été organisée dans d'autres villes et provinces du pays, dont Nghê An, Cao Bang (Nord), Hô Chi Minh-Ville (Sud). Partout, le même enthousiasme. Plus d'un étranger a été étonné de voir la popularité de la poésie au Vietnam...
Un phénomène qui se comprend mieux à la lumière de l'histoire où, pendant des siècles, les examens mandarinaux exigeaient des candidats de se plonger dans les grands classiques, de savoir composer des vers...
De nos jours, chaque district, chaque cité, abrite des cercles de poètes. Les membres sont surtout des retraités mais il y a aussi des jeunes. Beaucoup se sont mis à la Muse une fois à la retraite, et ont trouvé dans ce loisir une forme de sérénité et d'art de vivre. Certains ont même édité à compte d'auteur leurs œuvres, qu'ils distribuent à leurs amis et proches. À côté de ces clubs de vétérans s'organisent aussi des clubs de jeunes (ceux-ci vraiment enclins à devenir de vrais poètes) qui réfléchissent beaucoup aux aspects techniques, au style et aux moyens d'exprimer au mieux les tréfonds de l'âme.
Cet amour de la poésie est un trait bien particulier du Vietnam, peut-être unique au monde. Aussi peut-on être d'accord avec la remarque de certains étrangers connaisseurs de la culture nationale, selon laquelle les Vietnamiens sont un peuple épris de poésie ou, pour être plus correct, un peuple à l'âme poétique.
Phan Hoàng Manh/CVN
13/3/2011