Sud : il était une fois le cinéma

Les années 1950 ont marqué l'explosion des cinémas à Sài Gon (Hô Chi Minh-Ville actuelle). Le septième art était préféré aux autres types de loisir. Le commerce des salles obscures devint à la mode dans le monde des affaires.

Au début du 20e siècle, le cinéma entra au Vietnam au pas du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient. À Sài Gon, dans les années 1930, 1940, le gouvernement protecteur fit construire les premières salles de cinéma pour satisfaire les besoins de distraction des officiers, fonctionnaires français. Ces salles obscures ne se concentraient alors que dans le centre de la ville.

Les cinémas considérés comme les plus anciens et les plus somptueux étaient le Majestic Saigon et l'Eden, tous 2 installés au centre ville, sur la rue Catinat (rue de Dông Khoi aujourd'hui). Ces ouvrages étaient construits selon le style architectural classique des cinémas de Paris, avec des loges réservées aux plus riches. Aux premiers jours, les habitués de ces salles de cinéma n'étaient que des Français ou de riches locaux. Puis aller au cinéma devint un loisir commun de différentes couches sociales à Sài Gon. Personne ne se doutait que les Vietnamiens accueilleraient ce nouvel art si chaleureusement. Moins de 10 ans après l'apparition des premiers cinémas au Sud, les salles obscures étaient remplies de locaux. Les patrons français concédèrent le droit de commercialiser leurs salles de cinéma aux hommes d'affaires vietnamiens. Cette branche commerciale devint vite très rentable et se développait à rythme incroyable. Le patron d'une salle de cinéma pouvait, après quelques années, en construire une seconde.

L'âge d'or des salles obscures

Les années 1950 ont marqué l'explosion des salles obscures. Le septième art détenait le monopole en matière de loisirs. Le commerce des salles obscures devint à la mode dans le milieu des hommes d'affaire. Si on avait peu d'argent, on se procurait des petites salles de cinéma, situées dans les faubourgs de la ville. Les grands patrons achetaient de grands terrains dans l'intra-muros pour y construire des salles magnifiques. Les cinémas fleurissaient dans tous les arrondissements.

À la fin des années 1950, Saigon, avec ses 2 millions d'habitants, regroupait plus de 30 cinémas, avec une capacité d'accueil moyenne de 700 personnes ! La moitié de ces cinémas étaient, chose rare à l'époque, dotés de climatiseurs. Le nombre et la beauté des salles de cinéma de la perle de l'Extrême-orient étaient remarquables en comparaison avec celles des autres pays asiatiques, sauf dans les grandes villes du Japon et de l'Inde. Mais dans le Sud-Est asiatique, Saigon n'avait pas de rivale à sa mesure.

Parmi les patrons des salles de cinéma de l'époque, Mme Ung Thi marqua son époque. Cette femme d'affaires possédait plus de salles obscures que quiconque dans la ville. La fameuse patronne nourrissait l'ambition d'avoir au moins un cinéma de luxe pouvant être comparé aux plus belles salles des pays occidentaux. Mme Ung Thi investit une somme énorme dans l'achat d'un grand terrain basé sur l'avenue Nguyên Huê (à côté de la Municipalité d'aujourd'hui), le meilleur endroit possible dans la mégapole du Sud. Au début des années 1960, Mme Ung Thi y faisait construire le cinéma Rex.

Le cinéma Rex, la fierté des Saigonais

La célèbre patronne dota le cinéma Rex des équipements les plus sophistiqués, en conformité aux plus hauts standings de la planète. Le climatiseur moderne était capable de rafraîchir les 1.200 personnes lorsque la salle était comble. L'architecture du cinéma était très élégante et luxueuse. Toutes les places étaient recouvertes de velours importé. Le son stéréo, l'invention de dernière date, était également présent. Mais le Rex disposait surtout d'un écran grandiose Todd-AO, de 150 m2 et de rétroprojecteurs réservés aux films de 70 mm. Les riches spectateurs qui achetaient les places les plus chères situées sur les étages pouvaient même utiliser l'ascenseur (le premier importé au Vietnam et qui fut installé dans un cinéma) pour accéder à leur place.

Dès la mise en service du Rex, la patronne Ung Thi détermina qu'un cinéma comme celui-ci ne devait diffuser que les superproductions. Et elle choisit la grande oeuvre Ben Hur, récompensée par 11 Oscars en 1959, pour inaugurer son cinéma. À cette époque, un nouveau film ne pouvait être présenté hors des États-Unis que seulement un ou 2 ans après son apparition sur les écrans américains. Et à Saigon, il fallait bien en compter 3 ou 4 ! Mais MmeUng Thi réussit un exploit. Elle se rendit à Hollywood pour négocier le droit de diffuser ce film en Indochine alors qu'il était en train de faire un tabac dans les salles américaines. Une chose est sûre, Mme Ung Thi paya une somme énorme pour avoir le droit de présenter cette superproduction au Rex.

L'inauguration du Rex, en 1961, fut un événement attirant non seulement l'attention des hommes d'affaires, mais encore des politiciens. Les Saigonais étaient fiers de ce nouveau cinéma qui était alors estimé comme le plus moderne du Sud-Est asiatique. Bien que le prix des billets au Rex était de loin supérieur à ceux des autres cinémas, les salles étaient toujours remplies. Car les salles disposaient de tout le confort que l'on pouvait imaginer et les films diffusés étaient alors inédits.

Les années 1960 et le début des années 1970 furent l'âge d'or des cinémas de Saigon. De nouveaux établissements apparaissaient tous les ans. Même s'ils n'étaient pas aussi modernes que le Rex, leur envergure était comparable. Jusqu'en 1975, Saigon a compté près de 60 grands cinémas dont les nouvelles constructions comme le Capital Van Hoa, le Mini Capital Van Hoa et notamment le Mini Rex, qui bordait la rue Lê Loi, très luxueux et moderne, également propriété de Mme Ung Thi.

Après la réunification nationale, ces 60 cinémas saigonais furent confiés à l'Agence de diffusion des films de Hô Chi Minh-Ville. Jusqu'à la fin de la décennie 1980, ces cinémas fonctionnèrent très bien. Ils battaient sans cesse des records de fréquentation. C'était aussi l'apogée du septième art vietnamien, surtout avec l'apparition de la série de films Van bai lât ngua (Franc jeu).

Pendant les années 1990, avec l'apparition des producteurs privés, tous les cinémas étaient peu à peu équipés de rétroprojecteurs de 300 pouces pour diffuser des films vidéo surnommés "vermicelles instantanées". Les diffuseurs réservés aux films classiques tombèrent alors dans l'oubli, signe annonçant le déclin des films sur grand écran.

Les films vidéo dits "vermicelles instantanées" furent délaissés pres-que aussi rapidement qu'ils s'imposèrent, avec des conséquences dramatiques pour toute une série de cinémas autrefois prestigieux qui faisaient la renommée de la mégapole du Sud.

La disparition de grands cinémas

À cette époque, avec la crise des pays socialistes de l'Europe de l'Est, plus aucun film n'était produit par ces nations. Les fictions occidentales n'étaient pas non plus impor-tées. Les vidéos familiales inondaient le marché… Ces facteurs firent que les cinémas étaient désertés.

Les cinémas situés dans les arrondissements 4, 8, 10, 11, Binh Thanh, Phu Nhuân, Tân Binh furent donc transformés en restaurants, librairies, cafés, bars… Un fléau qui n'épargna pas les cinémas basés dans le centre ville. Dans la rue Dong Khoi, le Majestic Saigon est depuis devenu le restaurant Majestic, l'Eden s'est transformé en cabaret puis est devenu le centre commercial que l'on connaît aujourd'hui. Le cinéma Vinh Loi, situé sur la rue Lê Loi, est devenu une salle d'exposition des voitures de la marque Daewoo. C'est maintenant un centre de transactions. Et ce ne sont que quelques exemples parmi tant d'autres ! Le fameux cinéma Rex et Mini Rex ont aujourd'hui été reconvertis en hôtels : les hôtels Rex.

Les cinémas de Hô Chi Minh-Ville entre dans une nouvelle vie avec de nouvelles histoires qui seront racontées dans le prochain article.

Thuân Thiên/CVN

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