Riche art !

Poteries, tissus, gravures sur bois, cuivres, sculptures sur pierre, danses… L’art ethnique au Vietnam se conjugue de mille façons, au rythme de la richesse et de la diversité des multiples minorités ethniques. De quoi en avoir le tournis ou la fièvre acheteuse !

Main de fée !


Impossible de manquer au détour d’une rue commerçante du Quartier des 36 corporations ces boutiques qui affichent fièrement leur appartenance au commerce ethnique. Elles se distinguent de leur consoeurs, banals magasins de souvenirs, par ce cachet d’authenticité qu’elles se doivent d’arborer : des tissus de chanvre aux motifs colorés, qui pendent sur des cintres en bambou, des vieux gongs en cuivre vert-de-gris qui s’agitent mollement au bout de ficelles en raphia, des plateaux d’osier tressé qui s’empilent en une nonchalance étudiée, des colliers et boucles d’argent mat aux perles de verres brinquebalantes sur des tiges de bois laqué… Ça nous a un faux air de brocante où le synthétique n’a pas droit de cité. Quand on pénètre à l’intérieur, on s’attend à être reçu par une de ses vieilles femmes à la bouche rougie par le bétel, vêtue de lin indigo, qui accroupie dans un coin attendrait avec la patience millénaire de ces peuples que nous daignons porter notre choix sur un de ces objets venus de lointaines vallées… Je me dois d’avouer que j’entre rarement dans ce type de boutique : l’art traditionnel des minorités ethniques livré à domicile, ce n’est pas trop ma tasse de thé !
Tradition oblige !
C’est en allant à la rencontre de ces minorités que j’aime à découvrir ces produits artisanaux qui ont traversé les siècles, attachés à la vie quotidienne de nos ancêtres, et qui pour beaucoup sont encore des produits utilitaires. Or, pour trouver des produits traditionnels, quoi de mieux que d’aller au marché ! Et, à ce sujet, j’ai une chance inouïe : le Vietnam, c’est le pays des marchés. Petit rappel culturel…

Tout fait main !

Le Vietnam est un pays de tradition sédentaire rizicole. Toute la vie était, et est encore dans les campagnes, organisée autour du riz, la céréale nourricière. Seulement, pour avoir le ventre plein, il faut que les coffres à riz soient pleins ; et pour que les coffres soient pleins, il faut que les épis poussent drus ; et pour que les épis poussent drus, il faut prendre continuellement soin d’eux, à grands coups d’huile de coude. Or, plus on a de coudes, plus on a d’huile de coude. Et pour être certain d’avoir beaucoup de coudes, il vaut mieux éviter qu’une paire ou plus aient envie d’aller voir ailleurs si la rizière d’un village voisin est plus verte que la nôtre. Et justement s’il y a tout ce qu’il faut sous la main, les paires de coudes restent avec les mains ! Du coup, pas le moindre petit village qui n’ait son marché que pourraient jalouser nos pâles supérettes de canton occidental…
Au marché vietnamien, on trouve tout ce qu’il faut pour naître, vivre, travailler, et mourir au village ! Et encore plus dans les villages de montagne qui attirent chaque matin, comme la lumière d’un fanal happe les papillons, les nombreux habitants des petits hameaux accrochés aux adrets ou aux ubacs, selon ! Il y a même des marchés plus grands que les autres, plus malins aussi, qui se sont autoproclamés «marché ethnique», et qui, dans une parfaite compréhension des concepts de base du marketing, se vendent comme tels dans les catalogues pour nostalgiques d’un passé offrant toutes les garanties de sécurité et de confort du modernisme…

Richesse de l’âme !
Ces marchés, je les trouve sur ces routes de traverse si capricieuses que seuls des inconscients ou des intrépides empruntent. Ils sont cachés sous des toits de planches et de tôles, antres noirs, chichement éclairés de quelques rais de soleil qui s’insinuent entre les interstices des tentures…
Au moment où j’écris ces lignes, j’ai en mémoire ce marché en pays H’Mông, dans un bourg oublié du temps où, à chaque fois que j’y stoppe les roues de ma moto, je suis accueilli par des «Ông Tây trở lại» et des grandes claques dans le dos, suivies de «Bắt tay» (serrons-nous la main), «Chúc may mắn !» (Bonne chance !), avec tout ce que le village comporte d’enfants de trois mois à six ans ! Là, à la fraîcheur propice de vieilles planches vermoulues, je m’amuse à déplier les amples jupes plissées en chanvre décoré de tissages et broderies aux motifs géométriques, je me plais à fourrer mes doigts dans les grandes pelotes de laine colorée, j’aime à fouiller dans les piles de sacs en toile de lin brodés de patchwork, je joue avec les grands colliers et les boucles d’oreille en argent martelé. Parfois j’y trouve un improbable «khèn» (syrinx) qui voisine avec un vieux tambour de peau. Sans doute quelque montagnard qui aura dû vendre son instrument de musique pour acheter de la nourriture ou du tabac…
C’est là que j’apprécie l’art traditionnel, un art vivant qui respire loin des musées où parfois on le naturalise ! Et justement, respirer c’est aussi chanter, danser, bouger, vivre ! Je me souviens de cette soirée où Tuân et moi, nous étions perdus dans les hauts plateaux du Centre. Trop tard pour arriver dans une ville où nous aurions pu trouver un hôtel. C’est un petit village qui nous a accueillis. Nous avions eu l’autorisation d’y passer la nuit. La présence d’un étranger était, encore une fois, tellement rare que ça avait été l’occasion d’une fête : les villageois et les autorités locales nous avaient invités à la maison communale, et là, pour nous seuls, pour moi seul devrais-je dire, nous avons eu un festival de danses traditionnelles accompagnées du son des «k’ni» et des flûtes en bambou, avec les étoiles et les feux de bois comme projecteurs ! Moment émouvant où l’art et la tradition jetaient un pont entre le passé et le présent…
Désolé, je ne vous dévoilerai pas mes lieux secrets, mais si un jour l’envie vous prend de vouloir remonter le temps, je suis votre homme pour les faire partager… avec art !

Gérard Bonnafont/CVN

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