Préserver le Chai hê, le combat d’un vieux paysan

Le chèo (théâtre populaire) est le célèbre art théâtral traditionnel des campagnes septentrionales vietnamiennes. Pourtant, après trois siècles d’histoire, le Chai hê, une de ses variantes, reste encore méconnu. Confidence d'un amateur.

Originaire des villages de Lung Giang et Tam Son, district de Tiên Du, province de Bac Ninh, le Chai hê est un genre théâtral composé de centaines d'airs différents, souvent mélancoliques exprimant le respect et l’amour des enfants envers leurs parents. Sa principale caractéristique : elle met en scène un acteur vêtu d’un cache-sexe, chantant et dansant avec un bâton doré long de 1,2 m, accompagné par un groupe d'instrumentistes ne jouant qu'un gong, une cloche en bois et un tambourin.

Nguyên Nang Dich désire «préserver l’art du chèo et le transmettre aux jeunes».

«Au milieu du XXe siècle, le Chai hê avait le vent en poupe à Lung Giang, mon village natal. Dès ma petite enfance, j’étais presqu’ensorcelé par ces airs folkloriques. Mes grands-parents et mes parents étaient des artistes de la troupe du village. Tous les soirs, ils se produisaient devant une grande foule. Toute génération confondue, on se retrouvait tous autour d’une natte placée dans la cour de la maison communale», se rappelle Nguyên Nang Dich. Sur son visage ridé, ce sexagénaire laisse voir un florilège de vieux souvenirs.

Un art en ruine

Si le chétif sexagénaire aux cheveux poivre et sel garde son sourire lorsqu’il faut présenter aux visiteurs le Chai hê, il ne dissimule pas son amertume. L’art traditionnel s’est éteint à petit feu. Ironie du sort, ces dernières décennies, même dans son milieu d’origine, personne ne s’y intéresse. Pire, la quasi-totalité des villageois ignorent son existence. Mais, il reste encore une poignée des nostalgiques. Parmi eux, Nguyên Nang Dich qui désire «le préserver et le transmettre aux jeunes».

«À cinq ans, je connaissais par cœur plusieurs airs de Chai hê, y compris les plus difficiles», confie-t-il. À force de les écouter, il maîtrise des centaines de «saynètes». «Après la mort de mes parents, les représentations ont progressivement diminué, avant de définitivement cesser», s’afflige-t-il.

Mort dans l’âme, mais pas dans la voix, le rossignol délaisse son affliction à chaque fois lorsqu’il faut chanter une partition à la demande des visiteurs. Bravant le poids de l’âge, il en exécute merveilleusement toutes les chorégraphies.

«À la différence d'autres genres du chèo régulièrement pratiqués dans le delta du fleuve Rouge, le Chai hê obéit à des règles strictes», précise-t-il. D’abord, il est limité à deux villages, Lung Giang et Tam Son. En trois siècles d’histoire, il n’a jamais été chanté ailleurs. Ensuite, son contenu évoque des liens familiaux à travers des sonorités mélancoliques, et ne contient aucune scène grotesque. Enfin, le personnage doit toujours être un homme avec comme seul costume un cache-sexe.

Perpétuer l’art, une tâche ardue

De son armoire, Nang Dich sort un ancien livre qu’il feuillète en citant les chansons qu'il y a méticuleusement réécrites. «Ma plus grande crainte est la disparition totale du Chai hê après ma mort», confie-t-il. Soucieux de préserver ce patrimoine culturel ancestral, il ne ménage aucun effort dans l'espoir de trouver de nouveaux «adeptes».

Une des scènes de Chai hê.

Des efforts soutenus en 2006 par l'École secondaire de la culture et des arts de la ville de Bac Ninh qui s’est engagée à former une troupe de Chai hê pour participer au Festival national des chants folkloriques. Invité à animer la formation, il a tout sorti de son ventre : passion, connaissance, expérience, technique et énergie. Tous les jours durant six mois, il a parcouru à vélo une dizaine de kilomètres pour rencontrer ses élèves. Il se rappelle : «Même fatigué, j’avais un sursaut de motivation à enseigner les jeunes».

Son travail laborieux a été dignement récompensé par la médaille d’or décrochée par le numéro du Chai hê présenté par la troupe de Bac Ninh lors du Festival national des chants folkloriques organisé en juin 2006 à Dà Nang (Centre). Une joie de très courte durée. «Après l’événement, les airs de Chai hê ont une nouvelle fois été rangés dans le placard», s’attriste-t-il.

Selon lui, la direction de l'École secondaire de la culture et des arts de Bac Ninh a promis d'introduire le Chai hê dans son programme. Le Service municipal de la culture a même établi un plan de relance et de conservation sur le long terme. Cependant, rien n’a été fait concrètement. «Tout cela demeure encore des projets sur le papier», déplore-t-il.

Soucieux de sauver impérativement l’art folklorique ancestral, le vieux briscard envisage de sortir sa dernière énergie dans un énième projet ambitieux : monter une scène de Chai hê. «Je me chargerai de tous les travaux que je financerai personnellement : composer la pièce, trouver des costumes et des accessoires, interpréter les personnages, enregistrer un DVD», déclare-t-il.

Mission certes difficile mais pas impossible. Vouloir c'est pouvoir, dit-on.


Un art issu d’un jumelage

Le Chai hê tire ses origines du jumelage de deux villages, Lung Giang et Tam Son. L’histoire est assez émouvante. Sous le règne de Canh Hung (1740 - 1786), les villageois de Lung Giang sont allés chercher du bois en forêt afin de construire leur maison communale. C’est en empruntant la voie fluviale au retour que leur grand radeau de bois s’est tout à coup ensablé au moment de traverser le village de Tam Son. À la nouvelle de l’accident, les villageois de Tam Son ont accourus pour «dépanner» le radeau, et aider leurs voisins à construire la maison communale à Lung Giang. Ainsi naquit la fraternité entre les deux villages jusqu’au jumelage. Depuis, les «villageois frères et sœurs» se rendent réciproquement visite notamment lors des funérailles des «parents». C’est de là que sont nés les airs de Chai hê destinés exclusivement à exprimer le respect envers les parents.

Nghia Dàn/CVN

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