Trân Van Khuong, lauréat du prix KOVA qui récompense les cinq meilleurs travailleurs du pays en 2013. |
Avec son moteur pétaradant et son allure guère engageante, ce bac dans lequel nous embarquons pour traverser la rivière Hoa n’a rien de spécial par rapport à d’autres. Dans ce bac de fortune dirigé par Trân Van Khuong, prennent place aujourd’hui un groupe d’élèves revenant de l’école, quelques vendeuses ambulantes avec leurs palanches et des agriculteurs aux pieds terreux.
Un dur métier de... bénévole
M. Khuong, ce cinquantenaire frêle à la peau bronzée, est originaire de Lô Dông. Un petit village de 130 foyers repartis en cinq hameaux au cœur de la commune de Vinh Long, district de Vinh Bao. Depuis toujours, pour vaquer à leurs occupations, élèves et habitants du hameau de Thuong sont obligés de prendre le bac pour traverser la rivière.
«Cela fait plus de dix ans que les autorités communales prélèvent une somme du budget communal pour offrir un bac aux bateliers. Mais, ces derniers souhaitent arrêter leur travail au motif de ne plus supporter les conditions pénibles. Ils sont obligés de veiller jusque tard la nuit et se lever tôt le matin en plus d’être exposés toute la journée aux éléments. À cela s’ajoutent des revenus assez modestes. En outre, plusieurs n’ont pas de permis», fait savoir Doàn Van Liêu, président de la commune de Vinh Long.
Pourtant, cette situation n’effraie pas Trân Van Khuong. Depuis dix ans, il transporte dans son bac les riverains. Un travail bénévole pour lequel il refuse de percevoir de l’argent au point de laisser certains des passagers sans voix. En 2006, cet ancien marin a abandonné sa grande maison dans le village pour une maisonnette à peine meublée comprenant deux lits vétustes, quelques vieux vêtements et des bouées de sauvetage offertes par l’Union de la jeunesse communiste Hô Chi Minh de la commune de Vinh Long.
Si son altruisme est apprécié de tous, malheureusement, ce n’est pas du goût de son épouse, Trân Thi Ly. La pauvre doit s’occuper toute seule des tâches familiales. «À cause de ce métier, il n’a plus de repos et n’assiste quasiment plus aux cérémonies familiales, aux funérailles des proches ou aux noces», raconte Mme Ly. Chaque jour, son mari se lève à 04h00 du matin pour la première traversée et patiente jusqu’à 21h00 pour la dernière. En dix ans, il est devenu un grand ami des jeunes. Ils lui racontent leur journée et partagent avec lui les moments heureux et tristes de leur vie.
Ces dix dernières années, aucun accident de bac n’a été signalé sur la portion de rivière dont se charge M. Khuong. |
Un jour, des passagers lui posèrent cette question : «Pourquoi refusez-vous d’être payé ?». Il répondit : «Je suis devenu batelier pour servir les enfants de mon hameau. Ils doivent aller à l’école et n’ont pas d’argent. Voilà pourquoi, je ne peux pas les rançonner. Parfois, les vendeuses et les agriculteurs me donnent des milliers de dôngs pour acheter du carburant pour le bateau, là j’accepte. Mais les élèves, jamais».
Servir et non se servir
Il se félicite d’avoir résolu le problème d’insécurité sur cet axe surnommé jadis le «tronçon de la Mort». Selon les villageois, autrefois, les accidents mortels n’étaient pas rares. Avec lui, aucun ne s’est produit.
«Le tronçon traversant le hameau de Thuong mesure près d’un kilomètre. De nombreux bateaux y circulent. Je dois faire preuve de calme et de dextérité. Je dois pouvoir distinguer tous les types de sons, observer les bateaux et apprécier leur vitesse. Pendant la saison des crues (juin-juillet), il y a pas mal de tourbillons. Il faut avoir du flair», précise-t-il.
Son bénévolat n’est pas passé inaperçu. Il a été dignement récompensé par de nombreux satisfecit qu’il savoure fièrement. Le premier a été attribué en 2012 par le Comité populaire de la ville de Hai Phong, accompagné d’un million de dôngs. En 2013, il a fait partie des cinq meilleurs travailleurs du pays lauréats du prix KOVA, décerné par la vice-présidente de la République, Nguyên Thi Doan.
«Nous sommes très fiers de notre batelier Trân Van Khuong. Récemment, nous avons prélevé une somme du budget communal pour consolider son bac», déclare Doàn Van Liêu, président du Comité populaire de la commune de Vinh Long. Trân Van Khuong ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, malgré les remontrances de sa chère moitié. «Je travaillerai jusqu’à ce que ma santé ne me le permette plus», promet-il.
Quê Anh/CVN