Patrimoine : ce tamboureur qui garde le rythme et le sourire

Le Paranung fait la fierté des Cham de Ninh Thuân et Binh Thuân (Centre). Élément central de l'orchestre traditionnel Cham, ce tambour électrise les fêtes locales, où le feu de joie est toujours allumé par le vénérable tamboureur Thiên Sanh Thêm.

Si les sons du tambour Paranung sont incontournables dans la vie spirituelle et culturelle des Cham dans ces deux des provinces, il n'existe plus aujourd'hui qu'un seul atelier familial tenu par Thiên Sanh Thêm, un fringant septuagénaire.

Juillet 2011. Sous l'accablant soleil estival, Thiên Sanh Thêm laboure son champ, au pied de la montagne de Bau Vuong. Apercevant au loin des visiteurs qui s'approchent, il arrête son bœuf, essuie d'un revers de main la sueur qui perle de son front, et salue avec un sourire chaleureux. "Je viens d'achever deux tambours pour le Festival de la mer qui se tiendra en août prochain à Ninh Thuân. En attendant, je profite du beau temps pour cultiver ma parcelle", explique-t-il. Ce champ de riz est en effet la source de revenu principale de sa famille.

Son atelier de tambours se situe devant sa maison même, dans le village de Huu Duc, commune de Phuoc Huu, district de Ninh Phuoc, province de Ninh Thuân. Il s'agit d'une courette dallée de briques, où ces 50 dernières années, le maître-artisan et ses fils ont fabriqué des centaines de paires de tambours Paranung et Ghinang. Des instruments typiquement Cham, d'ordinaire fabriqués sur commande, écoulés ensuite jusqu'aux confins du delta du Mékong.

Les secrets d'un métier ancestral

"Je ne suis pas l'unique fabricant de tambours ici. Il y a aussi M. Phu Lang, domicilié au pied de la tour de Pôrômê, et M. Lai Lâu, près de celle de Hoa Lai", révèle-t-il. Et d'ajouter avec regret : "Mais ils sont trop vieux pour pouvoir encore en fabriquer. Et moi qui suis aussi vieux, je ne peux me résoudre à arrêter le métier, de peur que ce trésor des Cham disparaisse".

Ce métier ancestral, Thiên Sanh Thêm l'a appris de son père Thiên Sanh Tao, à l'adolescence. À cette époque-là, il l'accompagnait souvent en forêt à la recherche des Ca Chit et Lim Xanh, deux bois durs et rares. Le vieil artisan explique : la caisse de résonance doit obligatoirement être taillée dans un cœur de Ca Chit ou de Lim Xanh. Ensuite, il faut introduire du sable à l'intérieur et laisser sécher au soleil durant une semaine. Un "maillon indispensable" pour assurer au tambour une bonne résonance.

Mais, le travail le plus difficile est la recherche et le traitement de la peau, de cerf ou de chèvre. Selon Thiên Sanh Thêm, son père voulait toujours de la peau de cerf, qu'il chassait lui-même. Mais, "la chasse au cerf étant interdite de nos jours, je dois utiliser celle de chèvre. Avec ces conditions : dans le cas d'un mâle, celui-ci doit posséder des cornes longues de cinq centimètres; et dans le cas d'une femelle, celle-ci doit avoir mis bas sept fois", insiste l'artisan expérimenté.

D'habitude, le processus de fabrication d'une paire de tambours Paranung ou Ghinang nécessite un bon mois. Un "sacré ouvrage" qui, selon la tradition, commence par une cérémonie rituelle, organisée sur le chantier, pour s'attirer les bonnes grâces du Ciel. Et pas question de passer outre ! "Un jour, un artisan n'a pas respecté cet ordre des choses. Le résultat, c'est que ses tambours n'ont pas trouvé preneurs, parce qu'ils ne donnaient pas les bons sons, ceux que nous les Cham aimons", dit-il.

Artisan le matin, enseignant l'après-midi

Thiên Sanh Thêm est non seulement un fabricant chevronné, mais encore un tambourinaire talentueux. Il a été invité à maintes reprises à venir se produire dans des festivals de musique traditionnelle organisés aux quatre coins du pays, voire à donner des cours au Conservatoire de Hanoi. "Mais, ce que je préfère, c'est jouer aux pieds de nos vieilles tours et dans l'ambiance de nos fêtes de Katé et de Rija Nuga. Les sons du Paranung me paraissent alors plus magnifiques que nulle part ailleurs".

Il a transmis sa passion à ses cinq fils. Héritant des qualités de leur père, ceux-ci se sont mis à apprendre à jouer et à fabriquer cet instrument dès l'âge de dix ans. "Je voulais que chacun d'eux, à l'âge de 16 ans, puisse interpréter au moins la moitié des 72 airs de tambour Paranung", affirme-t-il, un tantinet sévère. Aujourd'hui, deux de ses fils appartiennent à des troupes de danse, chant et musique traditionnels de Ninh Thuân et de Quang Nam.

Depuis quelques années, Thiên Sanh Thêm a ouvert des cours de tambour pour les enfants Cham de la région. La cour de sa maison a ainsi une double fonction : atelier le matin et salle de classe l'après-midi. La classe est gratuite bien sûr, et ouverte à tous. Montrant du doigt un garçon de 14 ans, du nom de Hung, Thiên Sanh Thêm explique : "Il étudie à mes côtés depuis presque dix ans. Il peut maintenant jouer à ma place lors des fêtes de village". Et d'ajouter, une lueur de fierté dans le regard : "dans cette cour, une vingtaine de tambourinaires sont déjà partis pour aller répandre au loin les sons magnifiques du tambour Paranung".

L'image du corps humain dans un orchestre
Nghia Dàn/CVN
11/12/2011

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