>>Rchâm Tih, fabricant de xylophones en bambou
L’artiste Lê Thai Son joue de son célèbre P’rông devant l’ancienne vice-présidente de la République, Truong My Hoa (1er à droite). |
L’artiste Lê Thai Son joue de son célèbre P’rông devant l’ancienne vice-présidente de la République, Truong My Hoa (1er à droite). Photo : DDK/CVN |
Quartier résidentiel de Tô Hiêu, arrondissement de Hà Dông, en banlieue de Hanoi. Chaque soir, d’une maison à étages s’échappent les sons modulés de la flûte traversière, mélodieux de la flûte à bec, claironnants du T’rung (sorte de xylophone) ou suaves du P’rông (sorte d’orgue)… Des instruments en bambou caractéristiques des hautes terres du Vietnam. Depuis six ans, c’est là que Lê Thai Son, 67 ans, enseigne ces instruments. C’est aussi son domicile.
Les élèves ont de 7 à 77 ans, et appartiennent à différentes catégories socioprofessionnelles. Ce qui les anime tous, c’est la passion pour la musique traditionnelle. «J’aime bien jouer de la flûte en bambou», confie la benjamine, Quynh Anh, 7 ans, qui étudie ici depuis quelques mois seulement. Elle arrive déjà à interpréter des airs simples. «La musique traditionnelle nous rend plus serein et plus heureux. Moi, elle me détend après des heures de classe», s’enthousiasme Phung Thi Thao, étudiante. Pour Dinh Long et Hung Hiêp, tous deux karatékas de haut niveau, jouer de la flûte est une manière d’exercer la respiration. D’autres apprennent à jouer de la flûte dans l’espoir de guérir leur... mal de gorge !
Un instrumentiste polyvalent
À côté des élèves n’ayant pour seul but que de se divertir, d’autres ont bien l’intention d’embrasser une carrière musicale. Après un an d’études, Xuân Chiên (19 ans) et Xuân Thang (14 ans), deux frères, ont réussi l’examen d’entrée au Conservatoire de Hanoi. «Je suis content de voir nombre de mes anciens élèves réussir ainsi», se félicite Lê Thai Son, citant entre autres le flûtiste Bùi Công Thom, de renommée nationale, et Nguyên Thi Trang, professeur au Conservatoire de Hanoi. En quatre ans, le maître Son a vu défiler quelque 500 élèves. Son club de flûte en bambou, qu’il a créé en 1990, regroupe une centaine d’amateurs.
L’orgue en bambou, avec lequel on peut interpréter n’importe quelle mélodie, moderne ou folklorique. |
Lê Thai Son maîtrise de nombreux instruments en bambou, pour la plupart des régions montagneuses : flûte traversière, flûte à bec, flûte de Pan... (des ethnies minoritaires du Nord-Ouest), T’rung, Krông Put, P’rông... (des ethnies des hauts plateaux du Centre, Tây Nguyên en vietnamien). «Chacun de ces instruments a son charme. L’important, c’est de pouvoir, grâce à eux, exprimer l’âme de la montagne», confie-t-il.
Mieux encore, Son est en mesure de fabriquer lui même ces instruments si originaux, et cherche toujours à les améliorer. Sous ses mains, par exemple, la flûte à six trous en a désormais dix. «Cela permet de mieux traduire la beauté, le charme des airs folkloriques», explique-t-il.
Du chapeau conique à l’instrument de musique
Originaire du village de Chuông, le fameux «village des chapeaux coniques» comme le surnomment les Hanoïens, en banlieue de la capitale, Lê Thai Son s’est habitué dès son enfance au bambou, une des matières premières nécessaires à la fabrication de ces chapeaux pour femme (pour les armatures). Et de ressentir de plus en plus de la passion pour la flûte en bambou, un instrument très populaire auprès des campagnards.
Diplômé en 1970 de l’École de théorie et de gestion professionnelles, relevant du ministère de la Culture, Lê Thai Son a travaillé cinq ans au Service de la culture de la province de Yên Bai, au Nord-Ouest. Son travail lui a permis de parcourir des régions montagneuses, où il a pu apprendre auprès des autochtones à jouer divers genres d’instruments, notamment des flûtes. Et de chercher ensuite à les fabriquer lui-même.
De retour à Hanoi, Lê Thai Son a poursuivi ses études à l’Université de la culture, faculté de flûte, et est devenu professeur trois ans après.
Et pourquoi des cours gratuits ? L’artiste s’explique avec un sourire : «C’est mon gendre américain qui m’a inspiré». Après sa retraite en 2011, Lê Thai Son est allé aux États-Unis pour rendre visite à sa fille et à son époux américain. Ce dernier est tombé sous le charme des airs folkloriques exécutés par son beau-père. C’est lui qui l’a incité à partager son savoir, d’abord en enregistrant de courts vidéoclips pour le Net, puis en ouvrant des cours. «Mon but est de transmettre mon amour pour la musique traditionnelle vietnamienne à tout le monde, Vietnamiens et étrangers, et non de gagner de l’argent», explique-t-il.
P’rông, entre académie et folklore
Hormis la flûte, Lê Thai Son doit sa renommée à sa créativité, grâce à laquelle il a imaginé et fabriqué de ses mains, toujours à partir de son cher bambou, d’autres instruments traditionnels, comme les dàn da (lithophone, à l’origine en pierre), dàn bâu (monocorde, à l’origine en calebasse séchée). Sans oublier bien sûr le T’rung, un instrument de musique très familier parmi les ethnies minoritaires du Tây Nguyên. Les instruments de musique en bambou fabriqués par Lê Thai Son ont ensorcelé beaucoup de spectateurs lors des festivals culturels et artistiques, organisés de à travers le pays.
Mais la plus belle invention de Lê Thai Son est certainement le P’rông, une sorte d’orgue en bambou. «P’rông est la fusion du piano et nhà rông (ndlr : maison commune sur pilotis de tout village au Tây Nguyên). Et comme son nom l’indique, le P’rông est un parfait mariage entre la quintessence de la musique académique mondiale et la beauté sans artifice de l’âme de la montagne vietnamienne», éclaire le créateur.
Avec le P’rông, on peut jouer n’importe quelle mélodie, moderne ou folklorique. «Par rapport à d’autres instruments en bambou, le P’rông traduit le mieux l’âme des hauts plateaux. C’est comme un chant de la montagne», observe un expert.
Louée par de nombreux dirigeants du pays, le célèbre P’rông de Lê Thai Son a eu l’honneur de représenter le Vietnam lors de festivités internationales, dont la fête d’échanges culturels de l’ASEAN, tenue en 2013 au Laos.
Le P’rông, un orgue en bambou
Avec son profil en forme de nhà rông (dont le toit à forte pente est unique), le P’rông a des airs d’orgue à tuyaux. Une armature en bambou tient une rangée de seize tiges de bambou servant de clavier. Par l’intermédiaire d’un dispositif oscillant, chaque touche du clavier peut frapper un des tubes de bambou de différentes longueurs, émettant ainsi une note. Un orgue des plus élémentaires.
Nghia Dàn/CVN