Le directeur de l'hippodrome de Beyrouth, Nabil Nasrallah. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Construit en 1916 par les Ottomans, le champ de courses entouré de ses écuries est l'un des derniers espaces verts d'une ville défigurée par le béton. "La municipalité (propriétaire de l'hippodrome) refuse d'investir, en avançant à chaque fois un prétexte différent et ceci nous inquiète énormément", déclare Nabil de Freige, propriétaire d'une écurie et secrétaire général de la Société pour la protection et l'amélioration de la race chevaline arabe (Sparca).
Or selon M. de Freige, qui est ministre des Réformes Administratives, si l'hippodrome cessait d'exister c'est toute la tradition d'élevage qui serait menacée, alors même que le pays possède de très beaux chevaux. "Ce lieu fait vivre entraîneurs, jockeys, lads, palefreniers, employés, vétérinaires, éleveurs et agriculteurs, au total 1.500 familles et tout cela va disparaître", craint-il.
Selon la Sparca, le champ de courses est aujourd'hui déficitaire. Avant la guerre civile (1975-1990), il était le seul de la région à organiser des paris, et les courses qui s'y déroulaient deux fois par semaine engendraient des mises totales d'environ 500.000 dollars hebdomadaires.
Mais à cause de la guerre, "le nombre de chevaux est tombé de 1.500 à 350. Les courses ne se déroulent donc plus qu'une fois par semaine et le total des mises n'est plus que de 150.000 dollars" par semaine, regrette le directeur de l'hippodrome, Nabil Nasrallah. Une somme "qui ne pèse pas lourd face à ce qu'il pourrait rapporter" aux promoteurs immobiliers, souligne-t-il. L'hippodrome s'étend sur 200.000 m² au cœur de la ville, soit une mine d'or potentielle.
Patrimoine de Beyrouth
"Si l'hippodrome ferme, quelle garantie y a-t-il que cette parcelle ne sera pas bétonnée ?", s'inquiète M. de Freige. La municipalité doit absolument investir dans la reconstruction des infrastructures et des box pour sauver l'hippodrome, estime M. Nasrallah. "Nous devons être subventionnés, comme tous les pays où il y a des courses de chevaux", affirme-t-il.
Le maire sunnite de Beyrouth, Bilal Hamad, se dit lui prêt à investir si l'endroit devient "un lieu ouvert à tous les habitants". "L'hippodrome fait partie du patrimoine de Beyrouth, pourquoi serait-il réservé seulement aux parieurs ?", dit-il. M. Hamad est réticent à financer un lieu où se pratiquent des paris d'argent, contraires à l'islam. Il affirme avoir élaboré un projet appelé "Beirut Central Park", qui vise à transformer l'intérieur de la piste en terrain de golf avec un lac artificiel, en plus d'une école d'équitation.
Cette idée n'est pas du goût de Mohammad Ayoub, directeur de l'ONG Nahnoo. "Un terrain de golf, c'est un projet pour les riches. En plus, comment faire un lac artificiel alors que nous souffrons du manque d'eau ?" Selon lui, "la mairie veut faire un projet commercial onéreux pour le confier à une entreprise privée".
L'hippodrome de Beyrouth. |
Avec la fin de l'hippodrome, c'est un pan de l'histoire libanaise qui pourrait disparaître. En témoigne un mur criblé de balles, où le temps n'a pas effacé le symbole vert et rouge de la Légion étrangère et sa devise "Calme dans la tourmente", peints en 1982 par des soldats français de la Force multinationale.
Les miliciens s'y rencontraient
Situé sur l'ancienne ligne de démarcation, le champ de course est à la croisée des quartiers chiites, sunnites et chrétiens. Durant la guerre civile "les miliciens se tiraient dessus la semaine et se retrouvaient (à l'hippodrome) le dimanche pour parier avant de reprendre le combat", se souvient l'entraîneur Ali Ahmed Seif Eddine.
Sous les gradins, une salle servait même de lieu de rencontre des chefs de milices ennemis. Dotée d'entrées de chaque côté de la ville, elle permettait aux belligérants de négocier sans risque de guet-apens ou d'enlèvement. Lors de l'invasion du Liban en 1982, l'armée israélienne, postée derrière l'hippodrome, bombardait les combattants palestiniens se trouvant de l'autre côté.
Sous deux feux, l'accès aux écuries était impossible et 350 chevaux étaient enfermés dans une chaleur étouffante, dont 17 sont morts. M. de Freige a obtenu un cessez-le-feu pour les évacuer grâce au président de l'époque, Elias Sarkis, grand amateur de chevaux, et de l'émissaire américain Philip Habib.
Mais l'hippodrome, lui, ne s'en est jamais remis. Une fois les chevaux évacués, "l'aviation et les chars israéliens ont détruit toutes les tribunes, sans raison", et faute d'investissements municipaux, la reconstruction n'a jamais été terminée, regrette M. de Freige.