De manière générale, les Vietnamiens lisent peu de littérature étrangère. Il faut dire que la traduction de romans populaires date seulement d’il y a une dizaine d’années au Vietnam. C’est, d’ailleurs sur ce constat qu’a été créée la maison d’édition Nha Nam, en 2005.
Pham Xuân Thach (à droite), critique littéraire, et Nicolas Ancion, auteur belge, qui sera publié en vietnamien en 2014. |
«Les romans francophones sont connus depuis longtemps, avec notamment Georges Simenon et Maurice Carême. Mais il y avait encore peu de livres de littérature étrangère, et nous avons ouvert la brèche», nous indique Phùng Hông Minh, rédactrice au département francophone de Nha Nam. En huit ans, l’éditeur a ainsi fait traduire, puis publié plus de 140 ouvrages français, et quelques suisses et belges, parmi lesquels Amélie Nothomb, dont sept des romans sont disponibles en vietnamien, et Zep, dont le célébrissime Titeuf est désormais lui aussi connu des lecteurs du pays.
Côté français, les plus populaires sont les mêmes que dans l’Hexagone : Michel Houellebecq, Guillaume Musso, et Marc Lévy, dont le succès populaire n’est plus à démontrer. Ce dernier a d’ailleurs été traduit dans 40 autres langues dans le monde. «C’est nos meilleures ventes, entre 6.000 et 7.000 exemplaires par livre, c’est beaucoup pour le Vietnam», ajoute t-elle. «Les gens aiment ce qui est léger, facile à comprendre, romantique et drôle. On trouve tout cela dans les romans francophones. Dans la littérature vietnamienne, il n’y a pas beaucoup d’humour, ce qui explique aussi par exemple le succès du +Petit Nicolas+. Nous venons aussi de traduire +La Délicatesse+, de David Foenkinos. Il mêle humour et amour. On a eu de bons retours et il devrait bien marcher». En revanche, les lecteurs vietnamiens ne raffolent pas de policiers, pourtant très populaires ailleurs. Selon Pham Xuân Thach, critique littéraire, «Avant 1945, ils étaient classés divertissement. Mais aujourd’hui, les hommes lisent des livres comme Comment devenir riche ? et les femmes des romans d’amour».
Attirer des ouvrages de qualité
Un constat au goût amer pour les grands adeptes de littérature comme lui. «Les films et les livres exportés au Vietnam subissent le même sort. Nous recevons ici les productions hollywoodiennes presque en même temps qu’elles sortent au États-Unis. Comme si on avait la même culture, qu’on regardait les mêmes choses, mais ce n’est pas le cas. Quant aux films d’art et essai, on ne les reçoit jamais. C’est pareil en littérature. On importe beaucoup d’ouvrages de Chine et des États-Unis, et on aimerait lire d’autres œuvres, il n’y en a pas encore assez. Et les écrivains vietnamiens négligent les questions importantes de la société. Ils ne parlent pas assez d’actualité», commente-t-il.
Les ventes de Marie Ndiaye, prix Goncourt 2009, ont du mal à décoller au Vietnam. |
Pourtant, des efforts sont faits de ce côté. Les éditions Nha Nam ont publié des auteurs plus littéraires comme Marcel Proust, George Sand, Marguerite Duras, Jean-Marie Gustave Le Clézio (prix Nobel 2008), et des prix Goncourt comme Atiq Rahimi (2008), Marie Ndiaye (2009) et Jérôme Ferrari, le lauréat 2012, en cours d’édition, avec Le Sermon sur la chute de Rome. «Mais ils sont bien moins populaires car difficiles à lire. On ne dépasse pas les 2.000 exemplaires vendus, et ils s’écoulent lentement, comme ceux sur l’actualité», nous explique la rédactrice de la maison d’édition.
Diversifier les auteurs
Toutefois, d’ici 2014, Nha Nam devrait publier L’Homme qui valait 35 milliards, du belge Nicolas Ancion. L’histoire surréaliste mais tellement d’actualité du patron d’une grande entreprise kidnappé par un artiste contemporain, qui l’oblige à réaliser des œuvres de plus en plus absurdes. Le romancier est venu au Vietnam il y a quelques semaines pour présenter son livre et a trouvé preneur pour une traduction dans les mois à venir.
Selon Phùng Hông Minh, «nous l’avons choisi car c’est un nouvel auteur. Il a reçu plusieurs prix importants et a une écriture intéressante. De plus, nous voulons davantage développer la littérature contemporaine belge». Une opportunité pour l’écrivain, car s’exporter à l’étranger quand on est peu connu reste, on l’imagine aisément, bien difficile : «C’est très difficile de se faire traduire et de trouver une maison d’édition. Les négociations ne sont pas toujours évidentes, et les montants varient considérablement d’un pays à l’autre. J’ai mis 13 ans avant d’arriver à avoir une traduction en hollandais», nous a confié Nicolas Ancion.
«Afin d’inciter les lecteurs à s’intéresser davantage aux livres moins populaires, nous nous efforçons de publier de nombreux livres de qualité, et organisons beaucoup d’événements : rencontres avec des écrivains et des traducteurs, tables rondes. Mais il est évident que ça ne suffit pas. C’est aux gens de se prendre en main pour élever le niveau de leurs lectures», renchérit Phùng Hông Minh.
Historique de la littérature française au Vietnam
- De 1954 à 1975, le pays est divisé en deux parties : Le Nord et le Sud ayant chacun son propre régime politique. Au Nord, c’est la période où il y a le moins de productions littéraires. On prône la littérature réaliste-socialiste et on importe principalement des œuvres littéraires de ce courant. Ainsi, les auteurs les plus traduits sont Honoré de Balzac, Victor Hugo, Maupassant, Alphonse Daudet et Stendhal. La situation est tout autre au Sud. L’ouverture vers l’étranger favorise l’éclosion de la littérature traduite. Dans les années 1970, on estime à 80% la part des traductions d’œuvres étrangères dans la production totale. Plus de 200 auteurs étaient traduits.
- Après la réunification du pays, de 1975 à 1986, la traduction de la littérature française est réduite. Seules une cinquantaine d’œuvres françaises le sont.
- En 1987, un an après l’adoption de la politique d’ouverture économique du Vietnam (Đổi mới), un nouveau souffle est donné à la vie culturelle du pays. L’année 1989 marque le début de l’évolution de la réception de la littérature française. Les auteurs proscrits pendant les périodes précédentes sont revalorisés. Pour la première fois, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Marcel Proust, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, investissent le champ littéraire vietnamien. L’ambassade de France s’efforce, depuis 1990, de promouvoir la littérature française au Vietnam. Elle couvre souvent les droits d’auteurs, tout ou partie des frais d’achat du papier et éventuellement le coût de traduction. Ces frais restent très élevés pour une économie comme le Vietnam et freinent les publications.
(Source : Étude du professeur Nguyên Duy Binh, Université de Vinh, Vietnam)