Vietnam : dialogue des civilisations et des cultures

Dans ce numéro, Huu Ngoc nous parle de l’acculturation du Vietnam, un processus en deux étapes : avant et après l’année 1986, point de repère du Dôi moi (Renouveau).


Le Vietnam contemporain date de la Révolution de 1945. La première modernisation (= occidentalisation) du pays a eu lieu du temps de la colonisation française (1883-1945). L’influence de la culture française ne s’exerçait alors que sur les couches privilégiées des grandes villes, alors que plus de 90% de la population habitaient la campagne sans électricité et presque sans écoles. Le mode de pensée, les mœurs et coutumes restaient profondément traditionnels, marqués par le confucianisme et le féodalisme.

Le Président Hô Chi Minh (premier plan à droite) avec des paysans de la province de Thai Nguyên en 1954.
Le Président Hô Chi Minh (premier plan à droite) avec des paysans de la province de Thai Nguyên en 1954. Photo : Archives/VNA/CVN


La seconde modernisation, entamée dès la Révolution de 1945, a introduit le Vietnam dans l’ère actuelle en bouleversant de fond en comble la société traditionnelle par suite de la réalisation des idées sociales et révolutionnaires, de la guerre prolongée, de l’impact international dans tous les domaines, des efforts systématiques d’urbanisation et d’industrialisation.
Dans le Vietnam contemporain, le processus d’acculturation est passé par deux étapes, avant et depuis le Dôi moi ou Renouveau (politique de rénovation adoptée en 1986).
Avant le Dôi moi (1945-1986)
Nous pourrions considérer cette étape comme celle de l’internationalisation de la cause du Vietnam, étape caractérisée par deux guerres à caractère international. Durant les 80 ans de lutte contre l’administration coloniale française, les mouvements de libération nationale ont échoué. Hô Chi Minh a réussi, grâce à sa stratégie qui consistait à lier la cause vietnamienne aux affaires internationales, à gagner le soutien des forces progressistes et des peuples du monde. L’indépendance a pu être proclamée par la voie tactique du socialisme mondial. La culture vietnamienne s’est modernisée en revêtant les caractères national, populaire et scientifique.
Le cas de Hô Chi Minh est typique de l’acculturation du Vietnam avec la culture occidentale, la culture française en particulier, et du dialogue Est-Ouest. Christiane Pasquel-Rageau n’a-t-elle pas remarqué que Hô Chi Minh «était l’homme moderne le plus représentatif du Vietnam» (Hô Chi Minh, Éditions universitaires, Paris, 1970) ? «Il préservait toujours les éternelles valeurs vietnamiennes : respect des vieilles gens, mépris de l’argent, affection pour les enfants» (Daniel Halberstam, Vintage Books, New York, 1971).

Une boucherie pendant les années avant le Dôi moi.


L’âme vietnamienne se maintenait intacte en lui : sentiment de la communauté, culte familial, acharnement à la tâche, bon sens et humour paysans, instinct poétique. Le confucianisme lui avait inculqué des notions qui cadraient avec des options marxistes : le nationalisme, la foi et la transformation de l’homme par l’éducation, le souci de l’éthique sociale, le primat du praxis. De Sakya Mouni, Hô Chi Minh disait : «Quant au Bouddha de la miséricorde, sa bonté est immense». Paul Mus cernait à travers Hô Chi Minh la psyché du Vietnam et de l’Asie (Hô Chi Minh, le Vietnam et l’Asie, Seuil, 1971). Hô Chi Minh représentait la pensée orientale marquée par la quête de l’unité cosmique, l’harmonie des contraires, le penchant à l’intuition et à la synthèse.
Hô Chi Minh s’est vite mis au diapason de l’Occident. Jean Lacouture trouve qu’il «avait des signes» évidents de liens intellectuels et politiques avec le peuple américain. «Hô était très français», note Edmond Michelet, ministre gaulliste (Hô Chi Minh, Planète-Action, 1970).
À la pensée occidentale qui érige la raison et la science en critères de vérité, Hô Chi Minh a emprunté la méthode analytique qui devait s’orienter vers la dialectique marxiste. Selon Jean Roux, journaliste à Franc-Tireur, «il combine l’héroïsme et la sagesse… il demeure comme une sorte de Gandhi marxiste…, porteur de la sagesse de l’Asie» (Planète-Action). Parti d’une colonie semi-féodale, il a épousé l’idéal révolutionnaire occidental de 1789 dans sa lutte contre le colonialisme mondial.
Au Vietnam, après la défaite française de Diên Biên Phu en 1954, les grandes puissances se sont concertées pour diviser le pays en deux dans le cadre de la guerre froide. Au point de vue de l’acculturation, le Sud a subi l’influence de l’Occident alors que le Nord, tout en s’ouvrant à la culture socialiste en général, a puisé aux sources de la culture des peuples russe, chinois, coréen, cubain, allemand, polonais, tchécoslovaque, bulgare, roumain. Soulignons que les valeurs nées de l’acculturation avec la France de l’époque précédente ont enregistré des créations remarquables en lettres, art et science, dans l’enthousiasme de l’indépendance nationale reconquise.
Depuis le Dôi moi de 1986
Cette période porte le sceau de la mondialisation, de la régionalisation (adhésion du Vietnam à l’ASEAN -Association des nations de l’Asie du Sud-Est - en 1995) et du ralliement à la Francophonie. Trois problèmes préoccupants surgissent. Dans l’après-guerre, depuis 1975 :
- Une grave crise économique de 15 ans (jusqu’à 1995) due aux calamités naturelles (inondations, sécheresses, typhons), à l’agression des Khmers rouges et au conflit sino-vietnamien, aux mesures économiques inappropriées causant l’exode de deux millions de personnes en boat people.
- Le rattrapage économique par rapport aux pays voisins de l’Asie du Sud-Est.
- La compétitivité dans le cadre de la mondialisation.

Des marchandises sont mises en vente partout depuis le Dôi moi.


Le Dôi moi a contribué à résoudre ces problèmes avec ses deux composantes : économie de marché et politique de la porte ouverte. Il est apparu à l’époque de la mondialisation. Aboutissement nécessaire de l’évolution de l’économie capitaliste, ce phénomène de la rénovation présente un côté positif et un côté négatif. Il avantage les pays riches aux dépens des pays pauvres dont l’identité culturelle est menacée par l’homogénéisation. Parlant du savoir technologique et de la digitalisation, créateurs de la révolution informatique et de la mondialisation, M. Bousnina, directeur général de l’ALESCO (Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences), estime que ce savoir aide considérablement au bien-être des êtres humains et menace en même temps leur existence. Selon l’économiste américain Tyler Cowen, la mondialisation est une «création destruction». Comme elle est incontournable, nous devons lutter contre son côté négatif, exploiter ses atouts pour assurer la diversité culturelle et le dialogue des civilisations et des cultures.
À travers son histoire, le Vietnam a eu des acculturations réussies. Dominé pendant mille ans par les Chinois et 80 ans par les Français, il a su préserver son identité culturelle tout en l’enrichissant par un dialogue fructueux avec les cultures des pays dominateurs.
Fort de ses expériences passées, le pays fait face à la mondialisation. La lenteur du décollage économique lui crée beaucoup de difficultés sur le plan culturel. Il n’est pas aisé de contrôler le flux des apports étrangers des cultures tangibles et intangibles pour défendre son identité. Mais, nous pratiquons la politique de la porte ouverte pour enrichir notre identité avec des éléments empruntés aux cultures étrangères. Une culture close est menacée d’extinction. Il est naturel aussi que nous devions participer à la lutte mondiale de la société civile - Porto Alegre, Bombay, etc.- pour une alter-mondialisation.

Huu Ngoc/CVN

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