Les travailleuses rurales face aux défis des grandes villes

De nombreuses femmes travaillent dans le secteur informel, avec une très forte précarité. Ce sont surtout des femmes venues de la campagne qui tentent de gagner leur vie dans les grandes villes. Comment faire pour mieux protéger leurs intérêts?

Nguyên Thi Dan vend chaque jour des dizaines de kilogrammes de fruits.

Nguyên Thi Dan, 39 ans, arpente chaque jour les rues de la capitale pour vendre des dizaines de kilogrammes de fruits qu’elle charge sur son vieux vélo. Originaire de Yên My, province de Hung Yên (Nord), Mme Dan est vendeuse ambulante depuis l’âge de 17 ans.

"Nous sommes une dizaine de femmes venues de la campagne à nous partager pour 4 millions de dôngs par mois une chambre dans le quartier de Mai Dich, arrondissement de Câu Giây, Hanoï. La vente ambulante nous permet de gagner chacune 6 millions de dôngs par mois, un revenu plus élevé que celui de paysanne. C’est un travail pénible, mais nécessaire pour nourrir notre famille", confie-t-elle.

Précarité et absence de statut légal

Bien qu’il facilite la vie des citadins en leur apportant quasiment devant leur porte nombre de produits essentiels de la vie quotidienne, ce métier est mal considéré dans la ville, en partie parce qu’il implique souvent la vente sur l’espace public. “Pas mal de fois, j’ai été insultée à cause de ma marchandise qui encombre les trottoirs ou les rues”, partage-t-elle avec une certaine tristesse.

Nguyên Thi Loan, 36 ans, originaire du district de Luc Nam, province de Bac Giang (Nord), est, quant à elle, vendeuse ambulante de fleurs, à Hanoï également. "À chacun son métier. Sans formation ni diplôme, je n’ai pas d’autre choix que le travail manuel. Je pratique ce métier depuis une dizaine d’années, mais il me permet juste de quoi subsister. Je sillonne la ville du matin au soir, sous le soleil écrasant ou la pluie diluvienne. Dans ce travail physique, les femmes sont plus désavantagées que les hommes".

Selon un rapport du Réseau pour les migrants, le Vietnam compterait 7,8 millions de travailleurs dans le secteur informel, qui se caractérise par une grande précarité, l’absence de statut légal et une majorité (59,6%) de femmes.

La majorité de ces travailleurs viennent des zones rurales. Ils quittent leur village natal en quête de revenus meilleurs que ceux de l’agriculture, et se retrouvent à arpenter du matin au soir les artères bondées et polluées des grandes villes. Une partie de l’argent péniblement gagné est envoyée à leur famille chaque mois.

Étendre la sécurité sociale

La vente à la sauvette permet aux femmes venues de la campagne juste de quoi subsister.

Selon Ngô Thi Ngoc Anh, directrice du Centre d’études sur le sexe, la famille et le développement communautaire, "les femmes travaillent dans des domaines non reconnus comme aide-ménagère, vente ambulante... Elles n’ont pas de contrat de travail et ne bénéficient d’aucune couverture sociale; bref, elles souffrent d’une grande précarité".

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Le Vietnam compterait 7,8 millions de travailleurs dans le secteur informel et une majorité (59,6%) sont des femmes
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Trân Thi Chuc, 37 ans, originaire de la province de Vinh Phuc (Nord), a quitté son village natal dans l’espoir de trouver un emploi convenable dans la capitale. Employée comme aide-ménagère pendant des années dans de nombreuses familles, elle n’a jamais songé qu’un contrat de travail puisse lui permettre de bénéficier d’autres avantages que le salaire. "Nous connaissons peu de choses sur les politiques de protection sociale et ne recevons aucun conseil pour mieux faire valoir nos droits", partage Mme Chuc. "Nous ne savons pas comment nous vivrons dans dix ans quand des problèmes de santé ne nous permettront plus d’accomplir des travaux épuisants", ajoute-t-elle.

"Ces travailleuses apportent leur part au développement socio-économique du pays. C’est pour cette raison que les décideurs politiques devraient leur créer des conditions favorables afin qu’elles puissent bénéficier elles aussi des politiques de sécurité sociale", estime Ngô Thi Ngoc Anh.

Pham Minh Huân, ancien vice-ministre du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales, considère qu’au Vietnam, "si l’homme et la femme sont égaux devant la loi, ils ne le sont pas en matière d’éducation, d’accès à l’emploi et de revenu. La protection des droits des femmes dans le secteur formel présente encore quelques lacunes. Dans le secteur informel, le travail est précaire et le revenu très bas. Il faudrait étendre la sécurité sociale au-delà du secteur déclaré afin de protéger les intérêts de ces travailleuses”.

"Il faudrait aussi réexaminer les filets de protection sociale et diminuer les inégalités homme-femme par le biais de politiques étatiques. Enfin, il est nécessaire de sensibiliser les employeurs sur la nécessité de garantir les droits des travailleuses, quelles qu’elles soient, d’où qu’elles viennent et sans discrimination", souligne Pham Minh Huân.

Les travailleuses rurales des grandes villes, qui représentent un pan de la population active largement exclu des bénéfices de la croissance, réclament davantage de justice sociale.

Les pouvoirs publics doivent redoubler d’efforts en vue d’endiguer l’envolée de l’économie souterraine et d’engager des réformes structurelles afin d’améliorer la performance des filets de protection sociale et le ciblage des populations pauvres et vulnérables, conditions sine qua non de l’extension de la couverture sociale à l’économie informelle.

Texte et photos : Huong Linh/CVN

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