Dans l’ensemble du pays, de nombreux établissements scolaires, rues, arrondissements portent le nom des deux sœurs Trung. |
En 11 av. J.C, l’empire chinois a conquis le Vietnam et l’a dominé pendant près de dix siècles. En l’an 40, Trung Trac, fille d’une famille de seigneurs indigènes, prit la tête d’une révolte contre le cruel proconsul chinois Tô Dinh qui avait tué son mari Thi Sach. Elle fut secondée par sa sœur Trung Nhi. Tô Dinh prit la fuite. Trung Trac enleva 65 citadelles et fut proclamer reine. En 41, vaincue par le général chinois Ma Viên, elle se donna la mort avec sa sœur en se jetant dans la rivière Hat Giang (dans le lac de Lanh Bac, selon une légende).
Trung Trac vit alors dans la mémoire de notre peuple comme la Jeanne d’Arc française. L’histoire des sœurs Trung a été relatée dans le Thiên nam ngu luc (Les annales du ciel du Sud). Il s’agit d’un poème écrit à la fin du XVIIe siècle. Il relate l’histoire du Vietnam depuis les origines jusqu’au XVe siècle, y joignant un tableau sommaire de la dynastie des Lê postérieurs, de l’usurpation des Mac et de la restauration de la dynastie ancienne (XVIIIe siècle).
Dans l’ensemble du pays, de nombreux établissements scolaires, rues, arrondissements portent le nom des deux sœurs Trung. |
Ce poème de 8.136 vers qui adopte la métrique luc bat (six et huit pieds intercalés en langue nationale) avec 31 poésies en caractères chinois, est notre premier récit historique en vers de grande envergure. L’œuvre, imprégnée d’un esprit patriotique élevé, utilise largement comme source de documentation complémentaire les riches traditions populaires.
Insurrection des sœurs Trung
Ci-dessous quelques extraits de l’épisode concernant l’insurrection des deux sœurs Trung :
(Tô Dinh, apprenant la nouvelle du soulèvement, se hâta de rassembler ses soldats, et marcha contre les deux sœurs à la tête de son armée. La rencontre entre les forces antagonistes eut bientôt lieu).
Devant la beauté des deux héroïnes, Tô Dinh souhaita les capturer vivantes et les ramener à son camp.
Elles accusèrent Tô Dinh d’actions infâmes, exploitation du peuple et massacre des gens :
«Notre mari, que t’avait-il donc fait ?
Sans raison, tu as enfreint les règles du respect dû aux chefs autochtones !
Les devoirs dictés par les liens conjugaux
Nous obligent à nous venger par tous les moyens.
Si tu veux sauver ta vie, retourne à ton pays natal !
Si tu t’entêtes à rester encore ici,
Ton corps sera jeté aux poissons, sinon aux vautours.
Tu es habitué à des fanfaronnades,
Mais comment un vagabond peut-il prétendre chasser le maître de la maison ?»
Tô Dinh, furieux, lança son cheval au galop,
Elles brandirent leur hache incrustée d’or, leurs deux armées ensemble frappèrent.
Tô Dinh tout seul lutta contre les deux sœurs,
Allant et venant sans cesse pour prouver son courage.
Les deux sœurs s’élançaient à droite et à gauche,
Portant des coups à Tô Dinh avec la force du dragon évoluant dans les nuages.
Les soldats Ngô(6), pris de panique, s’enfuirent ;
Tô Dinh, également terrifié, chercha à battre en retraite
Et à ramener son armée pour se retrancher dans son camp ;
Les deux sœurs Trung le poursuivirent.
Dans leur fureur de se venger, elles n’avaient peur de rien.
Elles le chassaient comme le vent chasse une lentille d’eau.
Forts et camps ennemis furent brûlés.
Pour l’armée Ngô, ce fut la débâcle, tout comme dans une partie d’échecs où l’on perd la «voiture» (7)?
Tô Dinh, cerné, essaya de se défendre avec son arme,
Mais les deux sœurs levèrent leur hache d’or et lui portèrent des coups répétés,
Telles des tigresses affamées fonçant sur leur proie.
Elles l’achevèrent en un clin d’œil ; les plus courageux n’osèrent les regarder en face.
Elles brandirent la tête de Tô Dinh entre leurs mains.
À cette vue, les Ngô se hâtèrent de baisser leurs armes,
Et de prendre la fuite, tels des cerfs cherchant à s’échapper des rets.
Si leur corps était encore au pays Viêt, leur âme s’était déjà envolée au pays Ngô !
…
(Les deux héroïnes s’emparèrent du quartier général de l’envahisseur, libérèrent les prisonniers innocents et les soldats recrutés de force, puis distribuèrent tous les biens aux pauvres).
… Les récompenses étant réparties équitablement entre tous, supérieurs et inférieurs,
Les deux sœurs montèrent en char et revinrent à Hat Môn.
Le peuple, depuis lors, n’eut plus à se plaindre ;
Finies les corvées l’obligeant à descendre aux fleuves et à escalader les monts !
Civils et militaires de toutes classes furent unanimes
À vénérer les deux sœurs comme Reines gouvernant la nation Viêt.
Leur titre officiel était «reines Trung».
Elles instituèrent la Cour, définirent les fonctions, réorganisèrent le travail.
Puis un sacrifice fut célébré à la mémoire de Thi Sach.
À cette occasion, quelqu’un demanda aux reines :
«Selon les rites, il aurait fallu que vous fassiez ce sacrifice immédiatement après la mort de votre mari,
Tout comme Luu Bang, fondateur des Han qui décréta le port du deuil du roi So Hoài Vuong à toute son armée avant d’aller châtier Hang Vu (8).
Pourquoi êtes-vous tant pressées de prendre les armes ?
Ne vous souvenez-vous pas que le Roi Vu, parce qu’il se hâta de partir en guerre pour punir le roi Tru avant l’enterrement de son père, a été confondu par les sages Di et Tê ?» (9)
Les reines répondirent : «Généraux, vous vous trompez !
Si notre armée avait porté le deuil, nos combattants auraient manqué d’enthousiasme.
L’ardeur dans la lutte en aurait été amoindrie,
Dans l’abattement et la tristesse, comment peut-on vaincre l’ennemi ?
Enfin, nous nous sommes parées,
Pour impressionner ce lubrique et le rendre plus vulnérable»
Tous les généraux se confondirent en admiration
Et louèrent la sagacité des deux reines, dépassant même celle de Tô Công (10).
Huu Ngoc/CVN
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6. Soldats Ngô : de Tô Dinh.
7. Pièce d’une valeur de premier ordre pour l’offensive aussi bien que pour la défensive.
8. Hang Vu avait tué So Hoài Vuong.
9. Ba Di et Thuc Tê, deux personnages de l’antiquité chinoise, célèbres par leur mépris des honneurs et des richesses. Ils ont retenu les rênes du cheval du roi Vu pour l’empêcher de partir en guerre, l’accusant de manquement à la piété filiale.
10.Tô Công : personnage qui n’a pu être identifié, peut-être un général de l’antiquité chinoise.