À quelques heures du Nouvel An lunaire, au marché de fruits de Cân Tho, ville capitale du delta du Mékong, les chalands ont formé un cercle autour d’un étal de melons en forme de voitures. Des fruits qui forcent la surprise autant qu’ils dégagent de mystère. Et bien des clients auraient envie de s’en emparer pour épater leurs convives. Mais le prix les fera reculer séance tenante : 10 millions de dôngs la paire, soit cent fois plus que deux melons normals. Pourtant, ces fruits sont introuvables ailleurs, et l’offre reste inférieure à la demande.
Melons-lingot d’or. |
«C’est mon nouveau bébé. En 2008, j’avais créé le melon - lingot d’or, et ça avait bien marché. Et en 2005, j’en avais fait un cube», indique avec fierté Trân Thanh Liêm, 60 ans, propriétaire d’une plantation de melons, dans le district de Binh Thuy, à Cân Tho. Le sourire aux lèvres, le paysan un peu chétif nous raconte ses aventures.
Un incident bien embarrassant
Tout a commencé au Têt 2005. Pour la première fois sur le marché de Cân Tho, on pouvait trouver des melons–cube, vendus à prix exorbitants. Ayant bien envie lui aussi d’arrondir grassement ses fins de mois, Trân Thanh Liêm a décidé à son tour de se lancer, pour la récolte du Têt suivant. «J’ai fait fabriquer des moules carrés, dans chacun desquels j’ai placé un jeune melon. Leur permettant ainsi de prendre une forme carrée en se développant», révèle-t-il. Cette année là, il a obtenu une bonne récolte. Mais les choses se sont corsées. Il a été accusé de plagiat, et s’est retrouvé devant la justice, l’empêchant par la même de vendre ses melons aux supermarchés locaux.
«Finalement, personne n’avait déposé de brevet pour le melon-cube, et le Département de la propriété intellectuelle m’a laissé tranquille», confie-t-il. Après cet «incident professionnel», Thanh Liêm s’est creusé la tête pour trouver une nouvelle idée, la sienne cette fois. «Les Vietnamiens ont l’habitude de mettre en avant, à l’occasion du Têt, des objets symbolisant la richesse. Pourquoi pas donc un melon en forme de lingot d’or? ». Aussitôt dit, aussitôt fait, il s’est tout de suite mis au travail. C’était en mai 2008. Le paysan s’est alors rendu chez un soudeur près de chez lui, pour faire fabriquer des moules selon le modèle qu’il avait lui-même dessiné. Thanh Liêm a ensuite attendu la récolte avec autant d’impatience que d’appréhension. Le moment venu, il ne fut pas mécontent du résultat : une dizaine de lingots d’or réussis sur une centaine de plantés. Les autres arborant des formes pour le moins étranges. Mais pour lui, c’était déjà une victoire : pour chaque paire de lingot d’or, il a engrangé quelque 5 millions de dôngs, soit 50 fois de plus que pour les autres.
Symbole de richesse
Pour le Têt de 2010, après quelques années d’expériences et plusieurs récoltes, Thanh Liêm a pu lancer sur le marché une centaine de lingots d’or sucrés. «Cette culture est vraiment onéreuse, car le taux de réussite est faible, et les fruits déformés ont une valeur bien moindre. Mais je me suis lancé alors j’irai jusqu’au bout !», avoue-t-il. Et son jardin a ainsi été transformé en véritable laboratoire.
Ces melons-voiture qui rapportent gros. |
C’est l’an dernier, à quelques jours du Têt 2012, que notre homme a vu naître ses premiers melons –voiture. «Je n’en avais récolté que quelques pièces dont la forme demeurait encore imparfaite. Mécontent du résultat, j’ai réessayé cette année». Chose promise, chose dûe. Pour le Têt du Serpent 2013, Trân Thanh Liêm est venu au marché avec de nombreux melons ovales et de melons-cube, 700 lingots d’or végétaux et pas moins de 100 voitures dorées, non cabossées cette fois. «Mon champ a rapporté gros cette année», s’enorgueillit-il.
Les melons hors du commun de Cân Tho n’ont toutefois pas le monopole de l’originalité au Vietnam. Le delta du Mékong – le royaume des fruits – fait aussi parler de lui avec ses pamplemousses–gourde. Le fruit d’un travail de longue haleine pour Vo Trung Thanh, du district de Châu Thanh, province de Hâu Giang, chef du Club local d’encouragement de la production (CEP). «Aujourd’hui, alors que les conditions de vie s’améliorent, les consommateurs cherchent souvent des produits beaux et originaux. Je pense donc que mon idée n’était pas mauvaise. Et plus les années passent, plus j’arrive à en produire», révèle-t-il. De plus, grâce à une technique spécifique, il a pris l’habitude d’ajouter sur le dos des fruits l’une de ces deux lettres en relief : «Tài» (fortune) ou «Lôc» (prospérité). «Ce sont les vœux coutumiers du Nouvel An lunaire», explique-t-il. La culture des pamplemousses–gourde s’est largement intensifiée ces dernières années. Pour ce Têt du Serpent, le CEP en a produit quelque 11.000.
Nghia Dàn/CVN