Plein les poches

Pour ceux qui rêvent de devenir millionnaire et qui ne sont ni nés coiffés, ni bien nés, il existe une solution : venir au Vietnam ! Par la magie du change, le billet européen solitaire, qui repose plié en quatre dans le portefeuille, se transforme en liasse vietnamienne qui gonfle les poches. En l’espèce, vivre avec tant d’espèces n’est pas sans surprises...

Au début de mon existence au Vietnam, j’ai pu me prendre pour Midas. Non pas que ce que je touchais se transformât en or, mais simplement en constatant que je pouvais devenir millionnaire en ayant un seul billet en poche ! Très vite, j’ai dû me familiariser avec des billets dont le nombre de zéros après le premier chiffre donnait le vertige à quelqu’un habitué à considérer qu’un billet à deux zéros constituait déjà un viatique important.

Sans erreurs...

Quand le billet fait des tours ! 

Mais, attention, transmuter un billet en liasse, impose à l’apprenti alchimiste de pouvoir manipuler judicieusement sa nouvelle fortune. En effet, on reconnaît le pied-tendre (nouvel arrivé dans le pays), à sa façon de chercher sa monnaie quand il règle un achat. En bon néophyte, il sort de sa poche un amas de billets, qu’il tente de trier en espérant ne pas faire de confusion entre le bleu du billet de 20.000 et le bleu du billet de 500.000. Pour payer 15.000, il étale sa fortune, fouinant parmi le fouillis de ses billets, qu’il trie au grand jour, ne laissant rien ignorer des fonds qu’il transporte sur lui ! L’habitué sait faire lui ! Il a appris à classer ses billets par ordre décroissant et à plier sa liasse, billets aux montants les moins élevés à l’extérieur. Pour payer, il feuillette et ne sort que les billets nécessaires, conservant ainsi le secret de sa fortune. Cette pratique nécessite une certaine diligence, que j’ai eu, je l’avoue, beaucoup de mal à acquérir. Et encore, suis-je en la matière, bien inférieur à la dextérité dont font preuve les Vietnamiens pour compter leurs billets, notamment quand la somme est importante, tel que le retrait de fond à la banque ou lors d’opérations de change. C’est d’ailleurs dans les banques ou chez les changeurs que j’ai eu le choc de mon existence quand je suis arrivé ici. En Europe, quand on va à la banque pour retirer de l’argent, on entre dans un temple dédié à la finance. L’atmosphère y est compassée, et le rituel qui accompagne les opérations est soumis à un protocole rigoureux. La sacro-sainte règle de confidentialité y est respectée au doigt et à l’oeil !

Sans complexes...

Ici, rien de tout cela ! Si la banque reste un établissement solennel, l’atmosphère qui y règne est plutôt bon enfant. D’abord, ce n’est pas un sas avec un oeil de caméra anonyme qui nous accueille, mais un garde en uniforme, bien humain, et qui en plus sait dire bonjour et sourire ! Et quand on est connu, il sait même plaisanter et avoir un bon mot pour vous mettre de bonne humeur. Essayez de plaisanter avec une porte blindée, fusse-t-elle vitrée ! À l’intérieur, c’est presque une ambiance de kermesse. Les gens parlent haut et fort, téléphonent, j’en ai même vu qui attendent en grignotant des graines ou des fruits ! On peut même oublier de retirer le masque de protection que l’on met devant sa bouche pour faire de la moto, sans que cela inquiète quiconque. Quant à la ligne de confidentialité, inutile de la chercher : tout le monde se presse au guichet, en une joyeuse bousculade, où chacun interpelle le guichetier pour opérer sa transaction. Dans ce désordre organisé, qui m’amuse toujours, et me surprends encore par son efficacité, tout se fait à la vue de tous.

Combien de fois me suis-je trouvé à remplir les documents nécessaires au retrait d’argent, en ayant de chaque côté et derrière moi, des personnes dont les regards pouvaient glisser sur mon imprimé et ainsi connaître mon identité, mon adresse, et le montant de la somme que je retirais…

Combien de fois aussi, au début, ai-je été aidé par une personne, me voyant hésiter sur le document à remplir, et qui m’indiquait ce que je devais écrire, alors que le guichetier était occupé ailleurs…

Combien de fois, moi-même, ai-je dû aider des personnes qui savaient à peine lire, pour éviter qu’elles ne fassent des erreurs…

En fait, bon sang ne saurait mentir ! On retrouve aux guichets de banque cette aimable sollicitude de proximité qui est une des marques de fabrique de la société vietnamienne. Et que, pour ma part, je trouve plus sympathique que l’attitude individualiste et affectée que j’ai pu connaître ailleurs.

Sans soucis...

Mais le plus surprenant reste encore à venir ! Je suis encore estomaqué par la publicité apportée aux retraits. Je suis là, à attendre les quelques millions dont j’ai besoin pour ma semaine, quand mon voisin me pousse avec un grand sourire pour récupérer une tour d’une vingtaine de centimètres de billets de 100.000 dôngs, que lui glisse le guichetier. Là, à quelques centimètres de mon nez ! Je m’attends à ce que l’heureux récipiendaire enferme sa fortune à double tour dans une mallette, elle-même attachée à son poignet… Nenni ! Il sort de sa poche un vieux sac plastique chiffonné, dans lequel il entasse les étages de la tour liés par un élastique, et après un nouveau sourire pour me saluer, sort en balançant de façon décontracté un sac qui contient quoi faire vivre une famille de cinq personnes pendant six mois !

Et encore, ce n’est rien par rapport aux fins de semaine, lorsque les commerçants reviennent avec l’argent qui, économie oblige, a fructifié pendant la semaine. Ce sont de véritables buildings de billets qui sortent de sacs improbables et atterrissent sur le comptoir du guichet, au sus et vu de tous.

Quant aux transports de fonds, inutile de chercher des forteresses roulantes ! J’ai vu de tout : du transport de milliards de dôngs dans des caisses en cartons sur une moto, dans un taxi, dans une voiture particulière, et une fois ou l’autre dans une voiture blindée… De quoi faire pleurer toutes les sociétés de sécurité du monde !

Bon, je vous laisse : mon épouse m’appelle pour que je lui remette l’imposante liasse de billets que représentent mes émoluments mensuels ! L’art du compte, c’est elle !

Gérard BONNAFONT/CVN

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