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Jacob Lemay prend la pose dans la cour de sa maison à Melrose, Massachusetts. |
Mimi et Joe Lemay vivent dans une grande maison familiale avec jardin comme il y en a des centaines à Melrose, une banlieue coquette au nord de Boston. Ils ont deux filles, âgées de huit et quatre ans, et maintenant un garçon de sept ans, ex-Mia rebaptisé officiellement Jacob en juin 2014, à l’âge de quatre ans.
Alors que le débat sur les enfants transgenres est vif aux États-Unis, ces jeunes parents partagent désormais avec un certain militantisme l’expérience qui a ébranlé leur famille et leurs certitudes.
«Je n’avais jamais imaginé en ayant des enfants qu’un enfant pouvait être transgenre», confie Mme Lemay. Un choc auquel sont confrontées des centaines de familles américaines, à en croire une page Facebook qui leur est réservée, à défaut de chiffres officiels sur le nombre d’enfants concernés.
Près de trois ans ont passé depuis que les Lemay ont fait la «transition» de leur enfant - devenu un garçon pour tout le monde, école et autorités comprises. Son passeport est désormais au nom de Jacob Lemay.
Si leur entourage l’a globalement bien accepté, Mimi reconnaît avoir souvent failli «craquer» et connu des «journées d’authentique chagrin». «Je suis très heureuse de voir mon enfant s’épanouir mais je m’inquiète aussi beaucoup de l’hostilité du monde, et il y a un sentiment de perte: la personne n’était peut-être pas celle que vous croyiez mais elle existait malgré tout dans votre tête...»
«Comme si on rallumait la lumière»
Pour autant, les Lemay ne regrettent rien : Jacob, avec ses cheveux taillés en brosse, qui dit aimer le football comme la couture avec le sourire édenté d’un enfant qui perd ses premières dents de lait, a retrouvé sa joie de vivre.
Ce qui constitue, selon Mimi, «la meilleure des thérapies». Quelques semaines à peine après «la transition», raconte Joe, Jacob «a recommencé à rire, il était content de se lever le matin».
«C’est comme si quelqu’un avait soudain rallumé la lumière», dit Mimi.
Cette mère de 40 ans, élevée dans un milieu juif ultra-orthodoxe qu’elle a abandonné à sa majorité, souligne comment sa rupture à elle l’a aidée à traverser cette épreuve : «Étant passée par là, c’était plus facile pour moi de dire à mon enfant, +quelles que soient les normes sociales, je te vois, je vois la personne qui est à l’intérieur et c’est beaucoup plus important pour moi, je n’ai pas besoin de respecter les conventions+».
Jacob Lemay et ses parents dans leur maison à Melrose, Massachusetts. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Son mari Joe, 39 ans, co-fondateur d’une start-up qui fait des carnets de note numériques, se dit lui aussi heureux de leur décision.
«Personne n’a envie d’avoir un enfant très différent des autres, tellement différent que ça lui cause des problèmes dans la vie... Vous imaginez comment je me sentais», dit-il. «J’avais vu mon enfant - que je surnommais +bébé Bouddha+ tellement il était rayonnant, souriant - devenir de plus en plus sombre et renfrogné».
Risque de suicide
Après avoir consulté spécialistes et associations sur les problèmes des enfants transgenres, les risques étaient clairs, explique Joe. Si ses parents refusaient qu’il soit aux yeux de tous un garçon, cet enfant «allait continuer à vivre dans la honte et risquait de développer de vrais problèmes mentaux», avec un risque très élevé de suicide.
S’ils acceptaient, les réactions de l’entourage pourraient «gêner énormément» la famille, voire l’«obliger à déménager», mais cela paraissait beaucoup moins grave. Au final, «le choix prudent était la transition, et le vrai risque était de dire +Non, pas maintenant, ou non tout court+», estime Joe.
Les Lemay ignorent ce qui se passera dans quelques années lorsque Jacob arrivera à la puberté, s’il voudra entamer un traitement hormonal avant une éventuelle opération qui transformerait son corps définitivement.
Mais ils se voient comme une bouée de sauvetage pour d’autres parents confrontés à de jeunes enfants rejetant l’identité sexuelle dictée par leur corps.
Sur les réseaux sociaux, lors de séminaires sur les questions transgenres, ou au sein d’associations de défense des droits LGBT, ils témoignent fréquemment sur l’harmonie retrouvée de leur enfant.
Un témoignage essentiel au vu de «la forte hostilité à l’idée qu’un enfant puisse être transgenre. Il y a une étape mentale que beaucoup n’arrivent pas à franchir», dit Mimi.
Les Lemay reconnaissent néanmoins être, par leur milieu et leur éducation, des «privilégiés». Installés qui plus est dans le Massachussets, un État parmi les plus progressistes des États-Unis, qui fut le premier à légaliser le mariage homosexuel. Après sa transition en 2014, Jacob a ainsi pu changer d’école et être accepté d’emblée comme un garçon, sans que ses nouveaux camarades ne connaissent sa précédente identité.
Avec l’aide de l’administration du district, la directrice de cette école publique, Mary Beth Maranto, a organisé une formation pour le personnel. Cela a permis «d’apprendre beaucoup de choses sur la population transgenre» et de se «familiariser avec cette nouvelle partie de notre culture», dit-elle.
«La société va finir par accepter ça», dit Joe. «Les réseaux sociaux permettent aux gens d’apprendre les uns des autres, les familles peuvent se retrouver et plus personne ne peut prétendre que cela n’existe pas».
AFP/VNA/CVN