Syrie
Les Kurdes ont défait l'EI, mais quel avenir pour leur autonomie?

Ils ont combattu sans relâche le groupe État islamique (EI) en Syrie pour le compte de Washington. Aujourd'hui, les jihadistes ont perdu leur "califat", Donald Trump veut retirer une partie des troupes américaines, et les Kurdes craignent pour leur semi-autonomie chèrement acquise.

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Capture d'écran de la chaîne kurde Ronahi TV montrant des combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS) ayant erigé leur drapeau sur le toit du dernier bâtiment repris au groupe E) à Baghouz, dans l'Est de la Syrie, le 23 mars 2019. Photo: AFP/VNA/CVN

D'un côté, il y a le voisin turc, qui se dit prêt à lancer une nouvelle offensive à sa frontière contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG). De l'autre, le pouvoir de Bachar al-Assad, qui réclame la fin de l'autonomie de facto de la minorité.

Car dans un pays en guerre depuis 2011, les Kurdes disposent de leurs propres forces de sécurité, organisent des élections, gèrent des écoles et collectent des impôts. 

Mais l'annonce en décembre par le président Donald Trump d'un départ de Syrie des quelque 2.000 soldats américains, leur principal allié dans la lutte antijhadiste, et par ricochet leur principal bouclier, a fait l'effet d'un coup de tonnerre.

Pour sauver leur semi-autonomie, et se protéger d'une offensive turque, la minorité a alors entamé des négociations avec Damas. "Les Kurdes vont se retrouver écrasés entre l'enclume de l'armée syrienne et le marteau turc", pronostique l'expert sur la Syrie, Fabrice Balanche.

À terme, "le Nord-Est syrien sera partagé entre le gouvernement syrien et l'armée turque", estime-t-il. Maintenant que le califat de l'EI a été réduit à néant, et la victoire proclamée, les États-Unis devraient passer à l'acte et retirer la majorité de leurs soldats.

L'alliance arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS) s'est en effet félicitée samedi de la "totale élimination du soi-disant calife et une défaite territoriale à 100% de l'EI". 

Des combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS) sur le front contre le groupe État islamique (EI) à Baghouz en Syrie, le 14 février 2019.
Photo: AFP/VNA/CVN

"Futur incertain" 

"Les Kurdes sont confrontés à un futur incertain. La menace la plus urgente semble être la Turquie", dit Mutlu Civiroglu, spécialiste de la politique kurde.

Ces derniers mois, le président Recep Tayyip Erdogan a promis de repartir à l'attaque. Ankara voit d'un mauvais oeil l'émergence d'un noyau d'État kurde à sa frontière, craignant que cela ne ravive les velléités indépendantistes de cette minorité ethnique sur son propre territoire.

Quand, pour calmer le jeu, Washington a évoqué une "zone de sécurité" à la frontière, Ankara a proposé de mener elle-même le projet. Mais les Kurdes refusent toute implication turque et réclament plutôt une "force internationale". Et pour cause: le secteur évoqué, environ 30 km de profondeur en territoire syrien, englobe les grandes villes de la minorité. 

"Minbej, Kobané, Tall Abyad, Dérbassiyé, Qamichli, la plupart des villes kurdes se trouvent à la frontière", relève M. Civiroglu. Ankara considère les YPG comme une organisation "terroriste" et, en mars 2018, l'armée turque et des supplétifs syriens ont déjà conquis l'enclave kurde d'Afrine (Nord-Ouest), au prix d'une offensive sanglante. 

Dans un pays ravagé par une guerre complexe qui a fait plus de 370.000 morts et implique plusieurs grandes puissances, la Turquie est toutefois loin d'avoir les coudées franches: elle doit notamment prendre en compte l'avis de la Russie, alliée indéfectible de Damas.

"La position de la Russie est décisive, souligne M. Civiroglu. Les Kurdes savent très bien que ce qui s'est passé à Afrine s'est fait avec le feu vert de Poutine". La communauté a donc amorcé un rapprochement avec Damas, espérant sauver son autonomie par le biais de négociations. 

"Les Kurdes veulent que leur système politique soit reconnu, l'éducation kurde officialisée", fait valoir Mutlu Civiroglu.

"Capitulation sans condition" 

Les deux parties entretiennent des rapports ambigus. Des décennies durant, les Kurdes ont souffert de discriminations. Et le président Assad a qualifié de "traîtres" les combattants de la minorité pour leur collaboration avec Washington.

Pour le moment, les négociations piétinent. "Le régime exige une capitulation sans condition. Damas ne veut pas leur laisser d'autonomie", affirme Fabrice Balanche. 

Dans ce contexte, le ministre syrien de la Défense Ali Abdallah Ayoub a affirmé le 18 mars que l'armée syrienne "libérerait" les zones sous contrôle des forces kurdes "par la force" ou par le biais d'"accords de réconciliation". 

Les autorités kurdes ont dénoncé des propos "menaçants". Damas pourrait toutefois accepter des concessions, si elle cherchait à devancer la Turquie pour reconquérir les territoires frontaliers. 

"La seule carte des YPG", c'est d'espérer "qu'Assad cède sur l'autonomie en échange du retour rapide de son armée à la frontière turco-syrienne", selon M. Balanche. Un autre espoir subsiste: que les Américains maintiennent une présence, même a minima, en Syrie. 

Si M. Trump a assuré qu'il ne faisait pas "machine arrière", Washington a finalement décidé de garder "pour un certain temps" 400 soldats en Syrie, un"petit groupe de maintien de la paix".

"Les États-Unis pourraient bien ne pas quitter la Syrie" avant longtemps, avance Nicholas Heras, expert du Center for a New American Security. "Tous les acteurs en Syrie savent qu'ils ne peuvent agir avant qu'il n'y ait plus de clarté sur ce que les États-Unis décident de faire", ajoute-t-il.

Le Pentagone a évoqué une force d'observateurs constituée par les alliés de la coalition. Mais cette proposition est accueillie avec circonspection par les Européens, notamment la France.

AFP/VNA/CVN

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