>>Au moins 10 migrants morts dans le naufrage d'un bateau en Turquie
L'accélération de la crise syrienne, où la Russie effectue des frappes aériennes depuis le 30 septembre, risque de jeter davantage de réfugiés sur les routes, et c'est dans ce contexte que le président turc Recep Tayyip Erdogan est reçu le 28 septembre à Bruxelles par le chef de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et Donald Tusk, le président du Conseil européen.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan donne un discours au Parlement à Ankara, le 1er octobre 2015. |
La Turquie joue un rôle pivot: chaque jour, depuis ses côtes, embarquent des milliers de personnes pour les îles grecques de la mer Egée. Une fois arrivées sur le continent, elles poursuivent leur route par les Balkans jusqu'en Hongrie ou Croatie, d'où elles tentent de gagner le Nord de l'Europe, en particulier l'Allemagne, dans l'espoir d'y trouver l'asile.
"Dans cette catastrophe migratoire, dans cet exode massif provoqué par la Syrie et maintenant en partie par l'implantation militaire russe qui donne aux gens le sentiment que ça va s'aggraver, la Turquie et l'Union sont dans le même bateau (...) C'est déstabilisant pour eux comme c'est déstabilisant pour l'UE", souligne Marc Pierini, chercheur à l'institut Carnegie Europe.
La Turquie a dit le 1er octobre sa "grave préoccupation" après les premières frappes russes en Syrie. Et le président Erdogan a répété sa volonté d'amener son pays à une adhésion à l'UE, à la peine depuis 2005, y voyant une "stratégie gagnant-gagnant".
Main tendue
"La Turquie fait partie de la solution", a assuré cette semaine Simon Mordue, haut fonctionnaire de la Commission européenne. "La Turquie accueille actuellement plus de deux millions de réfugiés syriens, dont 260.000 sont dans des camps et 1,75 million sont en dehors de camps. La Turquie a investi plus de huit milliards de dollars pour les loger", a-t-il expliqué. "Nous voyons donc la Turquie comme un partenaire dans cette crise, de nombreux défis auxquels la Turquie fait face sont similaires à ceux que nous affrontons".
Cette main tendue cache mal le malaise des Européens, dont les relations avec Erdogan se sont refroidies depuis quelques années. Droits de l'homme, liberté d'expression, indépendance de la justice... La liste des griefs adressés ces dernières années par Bruxelles à Ankara est longue. Les Européens, même s'ils reconnaissent à Ankara le droit de lutter contre "le terrorisme", s'inquiètent en privé de l'offensive contre la rébellion kurde du PKK lancée fin juillet et ils regrettent son peu d'empressement à combattre les jihadistes de l'Etat islamique.
En face, le gouvernement islamo-conservateur et M. Erdogan ont fustigé Bruxelles pour son inaction face au problème des réfugiés syriens. Ankara réclame sans cesse une zone de sécurité le long de la frontière turco-syrienne, que l'UE ne voit pas d'un bon oeil.
Élections
"Cette visite intervient aussi dans une période très troublée en Turquie, avec des élections parlementaires le 1er novembre sur fond de spirale de violence et de détérioration de l'Etat de droit" en raison de raids et d'attaques contre des partis et médias prokurdes, souligne M. Pierini, ex-ambassadeur de l'UE dans ce pays.
Les Européens ont proposé la semaine dernière des aides financières massives à la Turquie et via l'ONU.
Mais la coopération souhaitée par Bruxelles va bien plus loin. Elle porte sur la lutte contre les passeurs sur les côtes turques - alors que le "business" du passage de demandeurs d'asile en Europe devrait au moins rapporter un à deux milliards d'euros cette année, selon M. Pierini - et sur le démantèlement de filières de faux passeports.
Surtout, les Européens aimeraient que la Turquie accepte la mise sur pied de procédures d'enregistrement de demandeurs d'asile, qui pourront ensuite être en partie accueillis en Europe, pour éviter qu'ils ne se lancent dans le voyage périlleux sur des embarcations de fortune. Cette idée a été jugée "inacceptable" par le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu.
Gerald Knaus, directeur du think thank Initiative européenne pour la stabilité (ESI), propose lui une "mesure exceptionnelle" pour soulager à la fois le fardeau turc et assécher la route meurtrière de la mer Egée : "Berlin devrait s'engager à prendre 500.000 réfugiés syriens directement depuis la Turquie dans les douze mois à venir".
En même temps, pour les décourager, l'UE devra systématiquement renvoyer en Turquie les migrants arrivés illégalement en Europe, selon lui.
AFP/VNA/CVN