À Hô Chi Minh-Ville, la musique que l'on entend dans les rues, c'est généralement celle des klaxons et des pots d'échappement. Une des rares exceptions est le parc du "30 Avril" où résonnent tous les jours des airs folkloriques, des sons de violon, de guitare, de mandoline ou de flûte. Cette scène en plein air est animée par les musiciens et chanteurs amateurs du club Mille Étoiles, dont le chef est Ta Trí Hai, Hanoïen d'origine.
Chapeau de cow-boy en cuir vissé sur la tête dissimulant un gros chignon façon hippie, longue barbe blanche, chemise de soie noire ornée d'un dragon jaune brodé, le beau septuagénaire a vraiment le look d'artiste. De bon matin, il vient s'installer sur son banc en pierre préféré, à l'ombre des arbres, près de quelques jeunes qui l'attendent. Le vieux sort son violon, la cale contre son menton barbichu. L'archet glisse lentement sur les cordes... S'élève alors l'air Les Hanoïens du compositeur Nguyên Ðình Thi. Viennent ensuite Alouette, exécuté avec violon, guitare, mandoline, flûte, harmonica... Puis c'est au tour des monocordes et viole de gambe d'interpréter une chanson folklorique du Nord... Et ainsi de suite. Tous les jours, Mille Étoiles "se produit" le matin au parc du "30 Avril", et souvent le soir dans celui du "23 Septembre", rue Pham Ngu Lao.
Nostalgie de Hanoi,quand tu nous prends…
Créé il y a 5 ans par Ta Trí Hai, ce club singulier attire de plus en plus de membres. Un seul "critère" pour être admis : l'amour de la musique. Chacun vient avec son instrument, qu'il soit moderne ou traditionnel. Et si l'on n'en possède pas, l'on vient avec ses cordes vocales, ce qui n'est déjà pas si mal. "Chanter et jouer de la musique, c'est pour moi un grand bonheur, une joie irremplaçable", confie le fondateur du club.
Originaire de Hanoi, le violoniste Ta Trí Hai débarque en 1977 à Hô Chi Minh-Ville pour, selon lui, "gagner sa vie". Il y reste. Parfois, il a la nostalgie de Hanoi qui renferme tant de ses souvenirs d'enfance et d'adolescence. Une nostalgie qui s'accroît avec le temps. "En prenant partant à la retraite, j'ai commencé à me promener très souvent dans ce parc, toujours avec mon inséparable violon. Et quand la nostalgie de Hanoi était trop forte, je jouais des airs de là-bas, se souvient-il. Ces sons mélancoliques ont charmé bien des promeneurs. Je me sentais heureux d'être ainsi entouré. Davantage encore quand on me demandait de pouvoir participer. C'est ainsi qu'est né le club Mille Étoiles".
Cet orchestre improvisé, l'une des grandes attractions de ces 2 parcs, ne manque pas d'admirateurs. Un public varié qui va des artistes aux moto-taxieurs en passant par les étudiants, ces derniers étant de loin les plus nombreux. À l'aise autant en anglais qu'en français, le vieil homme a aussi un sacré paquet d'amis venus des 5 continents, qui lui demande d'interpréter des chansons de leur pays. Parfois, ils lui enseignent des airs de chez eux. Autant dire que le répertoire du violoniste est des plus variés. Ta Trí Hai a toujours sur lui un carnet où les passants peuvent noter leurs impressions, leur adresse, leur numéro de téléphone. De petits mots gentils où le français, l'allemand, le russe côtoient le japonais, le coréen, le thaïlandais ou l'arabe. Certains ont même glissé une photo, d'autres ont dessiné un portrait de M. Hai. Un Israélien a écrit ceci en vietnamien : "Je m'appelle Amit Bar. Mon nom vietnamien est Hai.
J'ai choisi ce nom-là car c'est celui du violoniste, un monsieur très spécial. J'espère vivre longtemps au Vietnam et je pense que les gens ici sont les meilleurs au monde". Le vieil homme a confié qu'il en est à son 9e carnet. Bien sûr, il ne comprend pas tout. Peu importe, il considère tous ces messages qui viennent des 4 coins de la planète comme de magnifiques souvenirs.
Tard le soir, le violoniste solitaire rentre dans son modeste appartement de la rue Ngô Ðuc Kê. En espérant qu'un nouveau jour se lève bien vite pour retrouver son fidèle public et respirer de nouveau le parfum enivrant de la vraie vie...
Nghia Ðàn/CVN