Le Sot qui cherche à acquérir le savoir

Les faibles d’esprit, objet de la risée de tout le village, sont souvent servis par le hasard. Ce thème est traité dans des contes de beaucoup de peuples. En voici un de folklore vietnamien, satirique, raillant la gent lettré qui aimait les sentences académiques.

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Couverture d’une BD pour enfants intitulée Chàng ngôc hoc khôn (Le Sot qui cherche à acquérir le savoir).

Chàng ngôc hoc khôn (Le Sot qui cherche
à acquérir le savoir)

Il était une fois un homme surnommé le Sot. De leur vivant, ses parents l’avaient marié et avaient doté le jeune couple d’une maison d’un jardin et de quelques sào(1) de rizières. Homme de peu de jugement, il ne plaisait pas à sa femme qui voulait le quitter. Après la mort des beaux-parents, celle-ci partit du foyer conjugal et retourna vivre chez ses propres parents. Or, il se trouvait dans la région un lettré riche et veuf, qui épris de sa beauté voulait l’épouser. Les parents de la jeune femme, gens cupides et assoiffés d’honneurs, acceptèrent de bon cœur la demande en mariage. Ils dirent au lettré :

- Présentez les offrandes et nous célébrerons les noces. Le Sot ne saurait porter plainte car il était sans appui.

Le Sot était au courant de l’affaire mais il ne savait pas comment en dissuader sa femme. Quant à porter plainte, la chose lui paraissait trop compliquée. Il laissa faire.

Deux jours avant le mariage, une voisine compatissante se rendit chez Le Sot et lui dit :

- On va vous ravir votre femme. Savez-vous que les noces auront lieu après-demain ?

- Je le sais.

- Mais, alors ? Il faut agir !

- Je ne sais pas. Que dois-je faire ?

- Si vous ne savez pas, il faut chercher à acquérir le savoir.

Des belles paroles apprises sur le chemin

Le lendemain, sur les conseils de la bonne voisine, Le Sot quitta sa demeure et s’en alla à la recherche du savoir. Il chemina longuement sans avoir rien acquis. Arrivé à une prairie herbeuse, il vit un groupe de petits gardiens de buffles en train de s’amuser. Il s’approcha d’eux et entendit quelqu’un dire :

- Je m’assois plus aisément sur la pelouse que sur une natte fleurie.

Il trouva bonne la phrase et l’apprit par cœur.

Poursuivant son chemin, Le Sot aperçut un chasseur de rats des champs qui creusait une cavité en bordure d’une rizière. Puis l’homme plaça dans l’ouverture une nasse, brûla une botte de chaume dont il envoya la fumée dans le trou. Bientôt, deux rats sortirent leur tête de l’abri et s’apprêtèrent à pénétrer dans la nasse. Lorsqu’ils virent le paysan, ils se retirèrent. Celui-ci les défia :

- Oui, balancez vos têtes ! Vous ne m’échapperez pas.

Le Sot trouva excellentes ces paroles et les retint.

Chemin faisant, notre homme rencontra deux laboureurs en train de se reposer au pied d’un arbre. Ceux-ci venaient de puiser l’eau dans une rizière pour la verser dans une autre. Il entendit l’un d’eux dire :

- Les rizières hautes sont inondées, les rizières basses complètement à sec.

Et il répéta plusieurs fois cette phrase.

Sur le coup de midi, Le Sot arriva à un grand fleuve sur lequel flottait un train de bois. À la vue de ce spectacle, un vieillard déclara :

- Emporté par les eaux impétueuses, le train de bois poursuit sa course.

Le Sot se hâta d’apprendre cette belle phrase.

Sur le chemin du retour, il passa devant un restaurant d’où sortaient deux hommes à moitié soûls qui conversaient bruyamment. Avant de se séparer, l’un dit à l’autre :

- J’ai bien mangé et je vous en remercie. Demain, nous irons devant le juge.

Le Sot grava ces paroles dans sa mémoire.

Les contes populaires notamment ceux au caractère humoristique ou satirique sont racontés lors des travaux champêtres.

Satisfait d’avoir appris tant de choses, il retourna à sa demeure. Le lendemain, Le Sot mit son plus beau costume et se rendit chez ses beaux-parents. Dans la maison, les invités étaient nombreux, les mets abondants. On avertit les parents de sa femme que leur ancien gendre était là sans être invité. Les gens ne semblaient pas prêter grande importance à son arrivée. Mais, bientôt, ils furent surpris de voir le Sot s’asseoir tranquillement sur la pelouse en prononçant la première phrase qu’il avait apprise la veille :

- Je m’assois plus aisément sur la pelouse que sur une natte fleurie.

Prenant ces mots pour un défi, on commença à s’en inquiéter. Tout le monde allongea le cou pour l’observer. Le Sot pointa alors son index vers eux en répétant la deuxième phrase qu’il avait retenue :

- Oui, balancez vos têtes ! Vous ne m’échapperez pas !

Ce n’est plus un défi, c’est une menace, disait-on.

Le nouveau marié commençait à s’agiter, il dit à son beau-père :

- Le Sot n’est pas si bête qu’il le parait. Je suppose qu’il est en train d’ourdir quelque complot.

Son beau-père ne semblait point gêné, il le rassura :

- N’aie crainte. Il est inerte comme une roche et ne nous fera pas de mal.

Il fit entrer le Sot qu’il plaça entre les domestiques. La nourriture était frugale. Point de mets succulents ni d’alcool. Le Sot mangeait d’un bon appétit. Le beau-père dit alors à son gendre :

- Tu vois comme il mange. Il ne se sent même pas offensé.

Soudain, le Sot déposa son bol et prononça distinctement :

- Les rizières hautes sont inondées, les rizières basses complètement à sec.

Le conte Chàng ngôc hoc khôn a été inspiré de plusieurs films humoristiques projetés sur le petit écran vietnamien.

Le lettré crut comprendre que le Sot réclamait de l’alcool. Il se dit :

- S’il tient un langage aussi raffiné, il n’acceptera pas qu’on lui ravisse sa femme. Il n’est pas dupe comme l’affirmait le vieux. Ça va mal tourner. Je risquerais de perdre mon titre pour avoir porté atteinte à l’honneur du corps enseignant.

Cette pensée mit en rage le lettré qui décida d’abandonner la partie. Il se dirigea vers la sortie. On essaya de le retenir. Le beau-père lui dit :

- Reste donc jusqu’à la fin de la cérémonie et ne t’occupes pas du Sot. Il ne peut pas nous faire de mal.

Comme le lettré passait devant le Sot, ce dernier se rappela une des phrases qu’il avait apprises. Il la répéta à haute voix :

- Emporté par les eaux impétueuses, le train de bois poursuit sa course.

Ces paroles finirent par décider le lettré à fuir.

Le beau-père commença à s’en inquiéter pour de bon. Le Sot, après avoir avalé plusieurs verres d’alcool, déposa les baguettes et se leva. Arrivé à la porte, il se retourna pour réciter sa dernière phrase :

- J’ai bien mangé et je vous en remercie. Demain, nous irons devant le juge.

Tous les participants tombèrent des nues. Le beau-père se dit :

- Voilà qu’il menace de porter plainte. Il m’arrivera malheur si je marie ma fille au lettré.

Cependant, il n’était pas certain que le Sot fût capable de rédiger son mémoire. Il envoya sur le champ un domestique nommé le Gros, chez ce dernier pour le guetter.

Un mariage à la campagne.

La morale de l’histoire

Rentré chez lui, le Sot fit un bon somme. Lorsqu’il se réveilla, il sentit que son corps le démangeait. Devant une fenêtre, il enleva sa veste pour chercher les poux. Du haut d’un goyavier, le domestique l’observait. Penché sur sa veste de couleur blanche, le Sot lui tournait le dos. Il se dit :

- Peut-être que le Sot est en train d’écrire sa requête.

Le Sot trouva deux poux et s’écria :

- Voilà le mâle et la femelle ! Qu’on les écrase !

Le domestique était vert de peur car le Mâle et la Femelle étaient les noms de ses maîtres.

De nouveau s’éleva la voix du Sot :

- Et le gras ! À mort !

Or, le lettré s’appelait le Gras. Le domestique tendit les oreilles.

- Et la grande ! Je t’assomme, continua le Sot.

La Grande était le nom de la femme du Sot.

Et toi le gros! Tu ne m’échapperas pas !

Le domestique tressaillit. Le Sot venait de prononcer son nom.

- Pauvre de moi ! s’exclama-t-il. Mon nom figure également dans cette maudite requête.

Aussitôt, il descendit de l’arbre et vint se prosterner devant le Sot :

- De grâce, Monsieur le Sot, fit-il. Je ne suis pour rien dans cette affaire. Je ne suis qu’un pauvre domestique. Épargnez-moi, je vous en supplie.

- Eh bien ! Va dire à ton maître de me rendre ma femme.

Le domestique partit d’un trait et alla relater les paroles du Sot à son maître lequel dit à sa femme :

Qu’on en finisse avec cette affaire. Allons dire à ma fille de revenir à sa place sans quoi nous serons ruinés par le procès. Et retournons les offrandes au lettré.

Huu Ngoc/CVN

1. Un sào de terre équivaut à 360 m2 au Nord, 497 m2 au Centre et 1.000 m2 au Sud.

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