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>>Colloque sur la politique de réduction de la pauvreté
Changements climatiques, agriculture, développement durable et gestion des risques sanitaires : maladies émergentes, qualité des aliments... sont les thématiques prioritaires de la collaboration scientifique franco-vietnamienne. En suite de sa visite de travail au Vietnam, Jean-Marc Châtaigner, directeur général délégué de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), a accordé au Courrier du Vietnam une interview sur le thème des changements climatiques.
Le Vietnam est un des pays les plus touchés par les changements climatiques. D’après vous, quels sont les secteurs les plus affectés par ce phénomène ?
Jean-Marc Châtaigner, directeur général délégué de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) (1er à droite) lors de la rencontre avec la presse vietnamienne, le 8 juillet à Hanoi. |
Ces secteurs sont malheureusement nombreux en raison d’impacts variés. Le scénario d’élévation du niveau des mers d’un mètre conduirait à la disparition de 5% des terres du Vietnam, en particulier dans le delta du Mékong, le «grenier à riz du Vietnam». Celui-ci représente en effet 55% de la production nationale de cette céréale. Sa submersion menacerait donc la sécurité alimentaire du pays et de la région. Par ailleurs, le climat du Vietnam devrait connaître des épisodes extrêmes plus fréquents et plus prononcés, tels que sécheresses et fortes précipitations selon les régions. Le delta du Mékong fait ainsi face à une sécheresse exceptionnelle depuis quatre mois. Sans effort massif d’adaptation, le dérèglement climatique affectera ainsi l’agriculture, les ressources en eau, la pêche et les ressources marines. En modifiant les conditions de développement des vecteurs d’organismes pathogènes, les changements climatiques ont également une incidence sur les maladies émergentes et ré-émergentes. Le dérèglement du climat pourrait ainsi réduire les importants progrès accomplis par le Vietnam en matière de réduction de la pauvreté.
Ces conséquences ne sont pas encore toutes connues ou comprises dans leur complexité. La recherche scientifique a donc un rôle majeur à jouer dans les pays et régions qui, comme le Vietnam, doivent faire face à la fois à des enjeux nationaux, notamment ceux liés aux inégalités de développement, et globaux, comme comprendre et anticiper les impacts des changements climatiques, des crises financières, des pandémies, etc.
Quels sont vos conseils pour que le Vietnam puisse atténuer les conséquences des changements climatiques et concilier développement économique avec protection de l’environnement ?
L’évaluation des ressources génétiques traditionnelles du riz est une source de découverte pour répondre aux enjeux qu’imposent les changements climatiques à la riziculture. |
Votre question évoquant changements climatiques, développement économique et protection de l’environnement sous-entend très justement l’imbrication et la complexité des conséquences de ces enjeux, à la fois nationaux pour un développement économique respectueux de l’environnement, et globaux, tel le dérèglement climatique. Je l’évoquais précédemment, la recherche scientifique est indispensable à une meilleure compréhension des dynamiques complexes en jeu. Il est donc nécessaire de faire encore progresser la recherche scientifique nationale afin, à la fois de mieux comprendre ces dynamiques et mieux s’adapter à leurs conséquences. Notre principale mission à l’IRD est de contribuer, en priorité pour ce qui concerne la zone intertropicale et méditerranéenne, à construire, en partenariat avec les institutions de recherche nationales, le socle de connaissances nécessaires à rendre compatibles réduction des inégalités de développement, changements globaux et atteinte des Objectifs de développement durable, les ODD. Entre autres enjeux, la recherche permet également d’accompagner la transition énergétique, nécessaire, vers un modèle plus durable et décarboné.
D’une manière générale, le développement économique doit, comme vous le soulignez, prendre en compte ses possibles conséquences sur l’environnement. Faute de quoi, il représentera un emprunt que les générations futures devront rembourser avec un fort taux d’intérêt.
Quels sont les prochains projets de coopération entre l’IRD et le Vietnam ?
Mesures physiques haute fréquence dans la zone de jet de rive sur la plage de Nha Trang (Centre). |
La coopération entre IRD et institutions vietnamiennes est déjà dense et structurée autour de champs scientifiques aussi divers et essentiels que le développement de variétés de riz plus adaptées aux contraintes liées aux changements climatiques, c’est-à-dire plus résistantes à la salinité, à la sécheresse et aux organismes pathogènes. Nous travaillons également sur l’érosion côtière et les changements du fonctionnement des écosystèmes marins face aux modifications du climatique ; en épidémiologie sur la tuberculose, la dengue ; mais aussi sur l’impact des politiques publiques visant la réduction de la pauvreté et des inégalités.
Cette coopération scientifique s’inscrit dans la durée, souvent à travers différents projets successifs, co-construits, autant qu’il est possible cofinancés, et menés et valorisés avec nos partenaires vietnamiens. Cette coopération de long terme, menée le plus souvent grâce à des scientifiques de l’IRD en poste dans des institutions vietnamiennes, permet la formation par la recherche de jeunes chercheurs nationaux, gage d’un meilleur transfert de compétences.
Parmi les nouveaux projets, dans le domaine de la santé, nous venons ainsi de créer le laboratoire mixte international «Drug Resistance in Southeast Asia» (DRISA) avec le NIHE et d’autres partenaires internationaux. Son but est de mieux comprendre les mécanismes d'émergence de résistance aux antibiotiques sur la zone Vietnam, Laos, Cambodge, source de préoccupation majeure actuellement. Il combine des approches complémentaires telles que des études observationnelles, notamment en milieux hospitalier et communautaire, de la recherche expérimentale, et de la modélisation mathématique.
Autre exemple dans le domaine de l’environnement et du développement : le LMI «Services from delta coastal waters and their sustainability» (SEDES), que nous avons également créé cette année. Il étudie la façon dont les principaux services socio-écologiques fournis par les eaux côtières du delta peuvent être maintenus, restaurés et valorisés dans différents contextes politiques et environnementaux, et sous la pression des changements globaux. Il associe donc sciences de l’environnement et sciences de la société dans une démarche résolument interdisciplinaire pour aider la gestion de ces écosystèmes essentiels au Vietnam.
Bien d’autres projets sont en cours de développement. Ils combinent toujours recherche et formation par la recherche, et emploient pour la plupart des approches interdisciplinaires, nécessaires pour répondre aux enjeux d’un nécessaire développement économique, respectueux de l’environnement et des hommes, et en cela conforme aux Objectifs de développement durable.
Propos recueillis par Vân Anh/CVN