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Façade du magasin Le Printemps à Strasbourg le 4 septembre 2021. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Un peu partout dans les allées, des pancartes "-70%" ont fleuri il y a quelques jours. "Articles ni repris, ni échangés", avertit l'écriteau. L'opération doit se poursuivre jusqu'au 30 octobre, mais dès les premières heures le magasin a été pris d'assaut. Une longue file d'attente à l'entrée s'est formée sur le trottoir le premier jour.
Au rez-de-chaussée, plusieurs présentoirs de bijoux sont désormais entièrement vides, tout comme des étagères d'accessoires, où s'entassaient encore foulards et chapeaux la semaine dernière. Au premier étage, consacré à la mode féminine, les couloirs semblent étonnamment larges, maintenant que plusieurs marques ont démonté leurs stands. Le bruit des cintres qu'on entasse dans les cartons résonne aux oreilles des clients, à la recherche des bonnes affaires.
"Tout est vide, c'est très triste", convient Evelyne, 67 ans, croisée au rayon lingerie. "C'est une ambiance un peu fin de règne", estime cette ancienne technicienne de laboratoire, qui ne souhaite pas indiquer son nom. "Mais de toute façon, je ne venais plus depuis la grande transformation, ce n'était plus dans mes prix".
Marques rares et façade baroque
La "grande transformation" fait référence à l'opération de rénovation, menée entre 2011 et 2013, pour plus de 15 millions d'euros. À la réouverture, le groupe Printemps, tout juste racheté par des Qataris, proposait un positionnement plus haut de gamme et se targuait d'accueillir des "marques rares", dans un bâtiment présentant une nouvelle façade baroque en verre et aluminium."À l'époque, on nous a dit: +Nous sommes maintenant un magasin de luxe, le Printemps ne s'aligne plus sur la concurrence+", se remémore Yolande Fischbach, 62 ans, vendeuse depuis 1976, et déléguée CGT. "On nous avait expliqué qu'il valait mieux vendre un sac à 3.000 euros, que dix sacs à 300 euros, parce que la marge était plus importante. Mais avec ça, on a perdu nos clients".
"Liquidation exceptionnelle", des affiches annoncent la couleur, le 4 septembre au magasin Printemps de Strasbourg, qui ferme définitivement. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Ce changement de stratégie avait été accompagné, pour le personnel, d'un ensemble de recommandations pour mieux accueillir une clientèle fortunée. "On a été formées, nous n'étions plus des vendeuses mais des hôtesses", expose Martine Ebersold, 58 ans, dont 38 passés dans le magasin. "Il ne fallait plus dire sous-sol mais +rez de chaussée bas+, il ne fallait plus dire chaussure mais soulier, et nous ne pouvions plus montrer un rayon du doigt, il fallait +accompagner le client avec la main+", explique-t-elle en liant le geste à la parole.Mais faire de ce magasin de 7.500 m2 un temple du luxe était un pari pour le moins audacieux : à Strasbourg, l'établissement est situé sur le même trottoir que les enseignes H&M et Primark, et leurs T-shirts à 4,90 euros. Il se trouve en face d'un fast food, et donne sur une place où se croisent cinq lignes de tramway : pas vraiment un écrin de calme et de volupté, plutôt celui du bourdonnement permanent.Effondrement du chiffre d'affairesDe fait, le pari s'est avéré perdant, les ventes ont rapidement fondu. Selon une source proche de la direction, le chiffres d'affaires est passé de 27 millions d'euros en 2013 à 16 millions en 2019 (-40%). Dans le même temps, les effectifs ont été divisés par deux. Sollicitée, la direction n'a pas souhaité s'exprimer.Pour le personnel, la période est particulièrement "douloureuse", concède Christine Wagner, vendeuse en horlogerie. La fermeture de l'établissement, et de trois autres magasins de l'enseigne (Metz, le Havre, Paris place d'Italie) avait été annoncée en novembre dernier, "mais voir les rayons qui se vident, c'est dur à encaisser".Chaque employé réfléchit désormais à un moyen de rebondir. Si la CGT, le syndicat majoritaire, a négocié des crédits conséquents pour la formation des salariés, le groupe a refusé les dispositifs de pré-retraites, renvoyant ainsi les seniors sur le marché du travail.Avec 35 ans d'expérience, Christine Wagner se prépare à développer sa propre activité en tant qu'auto-entrepreneuse. "J'ai besoin de tourner la page", conclut-elle.
AFP/VNA/CVN