Le petit piano africain sous les pouces d’un Japonais : un sacrilège ?

Le plus africain des instruments de musique, le petit piano à lamelles, est depuis plus de dix ans le meilleur compagnon d’un chanteur japonais qui joue, compose avec et collectionne les distinctions dans son pays, une appropriation un peu sacrilège pour les tenants de la tradition.

Attelage musical improbable, rare exemple de fusion nippo-africaine, Sakaki Mango chante le plus souvent dans son dialecte de l’île de Kyushu, le Sud profond du Japon, «pour rester connecté à mes racines», dit-il.

Mais c’est avec un piano à pouces qu’il accompagne ses mélodies, frénétique, inspiré, parfois confus, très émouvant dans une composition (Small) dédiée aux victimes de Fukushima.

Japonais des pieds à la tête, n’ayant jamais vu un Africain de sa vie sauf à la télé avant l’âge de l’adolescence et sous le choc de cette rencontre, Mango a trouvé l’inspiration en Afrique australe et aux Congos.

Il a étudié le swahili à Osaka, est parti en brousse, démarrant ses voyages sac au dos par la Tanzanie, visitant les villages à la recherche de pianos à pouces, «initialement attiré par leur aspect religieux, mais dont il se démarque volontairement en tant qu’artiste», confie son manager français Nicolas Ribalet.

«C’est un instrument très spécial, très personnel pour moi», explique Mango, en détaillant comment il réaccorde ses pianos, «pour correspondre à ce qu’il a dans la tête ou à une tonalité très japonaise».

À chacun de ses trois disques (2005, 2008 et 2011), l’industrie musicale japonaise lui a décerné un trophée, dans la catégorie «world music».

Un succès d’estime. Pas la gloire dans une région du monde qui sacrifie avec dévotion aux dieux de la pop mais qui lui permet à 37 ans de «vendre correctement», selon son manager.

Chaque année, Mango part en tournée en Afrique, où le piano à pouces reçoit des noms variés et est parfois vénéré.

Qu’on l’appelle mbira (Zimbabwe), deza (Afrique du Sud), likembe (Congos), timbili (Cameroun) ou sanza en Afrique de l’Ouest, le principe est le même : des lamelles de métal sont montées sur un résonateur, calebasse, planche mal dégrossie ou coffre en bois rectangulaire, tenu à deux mains.

Un instrumentpour passer le temps

Les lamelles, parfois végétales, ne sont pas accordées dans un ordre continu comme sur un piano, mais disposées de gauche et de droite pour jouer toutes les notes de la gamme avec chaque pouce alternativement.

Aussi loin que les premiers explorateurs se souviennent, ce petit instrument portatif a toujours existé sur le continent noir, pour passer le temps en gardant du bétail, voyager, célébrer des mariages ou invoquer les ancêtres.

Sakaki Mango, lui, branche ses pianos à pouce sur un amplificateur, et s’accompagne d’un bassiste et d’un percussionniste.

Lors d’un récent concert au Swaziland, le public avait peine à croire que ce gaillard moulé dans un pantalon en wax chatoyant, tenant un piano à pouces, venait vraiment du Japon.

Il a été très applaudi. L’AFP a alors consulté la grande prêtresse zimbabwéenne du mbira, Stella Chiweshe, pour un oracle téléphonique depuis Berlin où elle vit aujourd’hui.

«Je ne retrouve aucun son auquel le mbira devrait ressembler. C’est surprenant (...) il compose son propre son. Ce n’est pas une chose que j’encouragerais. Bien sûr, on peut réaccorder le mbira mais c’est un démantèlement complet», dit-elle.

Elle insiste : «On ne joue pas du mbira comme d’une guitare, chaque son appelle un esprit» et «ce n’est pas le ping ping de l’instrument qui fait venir les esprits, c’est plus profond».

Le mbira n’est pas non plus fait pour exprimer sa sensibilité individuelle, «c’est un instrument secret, respecté, guérisseur» dont «le chant arrive en songe à ceux qui en jouent, légué par nos ancêtres», explique cette musicienne de 66 ans dont l’un des disques s’intitule «Le mbira parlant» (Piranha Record).

«Si on joue un air qui n’est pas fait pour le mbira, les anciens et les ancêtres vont vous demander de jouer loin de leurs oreilles», dit-elle.

Le manager de Mango n’est pas surpris de cette réticence : «Il se tient volontairement en deçà, ne se présente pas comme un spécialiste du mbira, il en aime la sonorité mais il ne fait pas de la musique africaine».

AFP/VNA/CVN

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