Le dernier forgeron du Vieux quartier de Hanoï

Le Vieux quartier de Hanoï était autrefois réputé pour ses corporations d’artisans. Nguyên Phuong Hùng est le dernier de la rue des Forgerons (phô Lo Rèn). Rencontre.

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Le forgeron Nguyên Phuong Hùng est un vrai passionné.

Nguyên Phuong Hùng, 55 ans, est le dernier forgeron du Vieux quartier de Hanoï. Dans la bouillonnante capitale, les forgerons, ces artistes du fer, sont une espèce en voie de disparation. Le métier de la forge, s’il passionne toujours autant l’homme, c’est probablement parce qu’il est au carrefour des quatre éléments de la nature : le feu (forge), la terre (minerai), l’air (soufflet) et l’eau (trempe).

La rue des Forgerons (Lò Rèn) est une petite rue comme bien d'autres du Vieux quartier de Hanoï. De nos jours, il est bien difficile d’imaginer que c’était autrefois un haut lieu de la forge dans le pays. La rue Lò Rèn résonnait alors du matin au soir des coups de marteau sur l'enclume. Désormais, ces sons ne proviennent plus que d’une seule forge, celle de Nguyễn Phương Hùng, au N°26.

La forge artisanale, patrimoine en péril

«Dans le passé, la rue Lo Rèn était une adresse familière pour les agriculteurs et entreprises de construction de Hanoï et des environs. Pour répondre à la demande, mon four fonctionnait tous les jours, du matin jusqu'à tard dans la nuit», confie M. Hùng.

«Les forges ont commencé à disparaître en 1995 pour laisser place à des commerces modernes, en liaison avec le boom du tourisme. Je suis le dernier et je n’ai pas l’intention d'abandonner. J'aime ce que je fais et j’en suis fier», dit-il.

La période d'or de la forge à Hanoï a été pendant la génération de son grand-père, c’est-à-dire dans les années 1940-50. «Mon grand-père a apporté ici le métier traditionnel du village de Hoè Thi. Il a fabriqué la première machine à tisser pour le village de la soie de Van Phuc, inspirée d’une version française. Mon père, quant à lui, forgeait principalement des instruments pour des troupes de théâtre comme épées, couteaux, etc.».

Autrefois, M. Hùng forgeait surtout des outils agricoles comme faucilles, houes ou charrues. «Maintenant, les machines remplacent tout. En outre, nos couteaux ou ciseaux faits main ne peuvent rivaliser avec les produits importés et bon marché. Pas étonnant donc que peu de personnes veulent s’engager dans ce métier difficile».

Un attrait touristique
de la capitale

M. Hùng s’amuse que sa forge soit devenue un attrait touristique. «Je me dis souvent en plaisantant que je fais le tour du monde sans passeport. Pourquoi ? Parce que des étrangers des quatre coins du monde viennent me voir. Ils me filment, ils me prennent en photo comme si j’étais une sorte de dinosaure. Moi, j’assume ! Quand on se sent vraiment fait pour un métier, on est toujours à l’aise».

M. Hùng déplore qu’aucun  jeune, y compris ses enfants, ne veuille devenir forgeron. «Il n’y a pas de pression, mes enfants sont à même de choisir leur vie, pourvu que ce soit  en accord avec eux-mêmes, avec leur famille et bénéfique pour la société», explique-t-il.

Depuis des décennies, Nguyên Phuong Hùng voit sa rue se transformer. Et la rue le voit s’accrocher à son métier, sans succomber aux sirènes de la modernité et du matérialisme. «Il est regrettable de voir le Vieux quartier se vider de ses artisans. Leurs ateliers laissent la place à des hôtels ou à des commerces. Si cette tendance se poursuit, il n'y en aura bientôt plus rien ici. Il sera alors trop tard pour réagir».

Or, la beauté et surtout l’originalité du Vieux quartier de Hanoï réside justement dans cet artisanat, pas dans ses cafés, restaurants ou hôtels. «Les services liés au tourisme sont en plein essor ici. Le loyer d’une petite pièce peut vous rapporter des dizaines de millions par mois. Alors, qui serait assez fou pour faire un travail aussi dur ? Mes amis m'ont conseillé d'arrêter. Mais  je suis fier de pouvoir fabriquer des produits plus sophistiqués que de nombreuses machines modernes. J'aime mon travail et tant que j’ai la santé, je continuerai», souligne M. Hùng.

Aujourd'hui, M. Hùng fabrique principalement des forets de perceuses et autres outils pour le secteur du BTP. Il a beaucoup de commandes mais la rémunération est faible par rapport à la somme de travail nécessaire. Assis à côté de son four de 200 ans, vêtu d’une chemise déchirée et imbibée de suie, le forgeron parle à haute voix à ses admirateurs du moment, et leur demande de faire de même. «Quiconque fait ce travail longtemps aura des problèmes d’audition un jour ou l’autre. Nous devons vivre avec un bruit assourdissant tous les jours», explique-t-il. Il nous montre aussi beaucoup de cicatrices sur ses bras et ses mains.

Le forgeron d'âge mûr semble heureux d’accueillir les curieux qui viennent le voir, comme l’on viendrait admirer un oiseau rare. Sans comprendre vraiment qu’un patrimoine vivant est en train de disparaître.

Texte et photos : Thúy Hà/CVN

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