L’artiste photographe Chu Chí Thành et l’histoire de Deux soldats

L’ancien photojournaliste Chu Chí Thành vient de recevoir le Prix Hô Chí Minh dans le domaine des lettres et des arts 2022 pour son œuvre Hai người lính (Deux soldats). Ses quatre photos, prises en 1973, expriment l’aspiration à la paix, à la concorde et l’unification nationales.

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L’artiste photographe Chu Chí Thành lors de la cérémonie de remise du prix Hô Chi Minh dans le domaine des lettres et des arts 2023, le 19 mai à Hanoï. 
Photo : VNA/CVN

Un jour de fin mars 1973, soit deux ans avant la libération du Sud et la réunification nationale (30 avril 1975). Au bord de la rivière Thach Han, dans la province de Quang Tri (Centre), a eu lieu l’échange de prisonniers après la signature des Accords de Paris mettant fin à la guerre du Vietnam (1954-1975). Au poste de garde de Long Quang, commune de Triêu Trach, district de Triêu Phong, dans une ambiance joyeuse, deux militaires des deux côtés de la ligne de démarcation les bras autour de l’épaule de l’autre. Et Chu Chí Thành, photoreporter de l’Agence Vietnamienne d’Information (VNA) de l’époque, n’a pas manqué l’occasion d’immortaliser ce moment historique.

Cinquante ans après qu’il avait photographié ces deux soldats, l’auteur, âgé maintenant de 79 ans, a reçu le 19 mai 2023 le Prix Hô Chi Minh 2022, la plus prestigieuse distinction du Parti et de l’État en lettres et arts.

Dans sa maison située rue Minh Khai, à Hanoï, regardant ses clichés qui tapissent son bureau, l’artiste photographe octogénaire se rappelle les jours où il parcourait le pays pendant la guerre contre les Américains. À chaque image, un flot de souvenirs refait surface, il en tremble même.

Sur le champ de bataille

Le photoreporter de la VNA, Chu Chí Thành en 1972. Photo : VNA/CVN

En 1966, Chu Chí Thành venait de terminer sa troisième année d’études, se préparant à entrer dans sa quatrième année à la Faculté des lettres de l’Université de Hanoï. Celle-ci était la première université des sciences fondamentales pluridisciplinaires du Nord après le rétablissement de la paix, aujourd’hui convertie en deux : Université des sciences naturelles et Université des sciences sociales et humaines de l’Université nationale de Hanoï. Le jeune homme a été sélectionné, parmi d’autres, par la VNA pour assurer la couverture médiatique sur le champ de bataille du Sud.

Avant d’être envoyé sur le terrain, il a suivi une courte formation en journalisme à la VNA. “Je devais choisir entre la presse écrite et le photojournalisme. J’ai opté pour la deuxième car à ce moment-là, j’ai pensé : +Avec un appareil photo, je pourrai capturer des images très vivantes, ce qui constituera un trésor précieux ayant une valeur à long terme, nous aidant efficacement dans notre travail d’information+”. Depuis, Chu Chí Thành arpente le pays toujours avec son appareil photo, devenu son “objet inséparable”.

Fin 1967, il a rejoint le service de photographie militaire de la VNA, commençant son parcours argentique par l’immortalisation de moments inédits qu’il appellera plus tard des “Mémoires de la guerre”.

Chu Chí Thành était présent partout, de Hanoï - théâtre tragique et héroïque des 12 jours et nuits d’histoire en 1972 de la campagne dite de “Diên Biên Phu aérienne” - à Quang Binh et Quang Tri (Centre) - se lançant dans le tumulte de la guerre, où la frontière entre la vie et la mort était minime.

Pendant la résistance anti-américaine (1954-1975), la province de Quang Tri était l’un des champs de bataille les plus dangereux, notamment à l’été 1972. C’est là que se trouvait le 17e parallèle, reconnu comme la ligne de démarcation provisoire séparant le Nord et le Sud du Vietnam.

D'une voix étranglée, Chu Chí Thành se rappelle les moments liés aux photos qu’il a prises pendant les années de guerre anti-américaine. 
Photo : Thành Ðat/ND/CVN

En 1973, dans le cadre de la mise en œuvre des Accords de Paris signés le 27 janvier, qui mettaient fin à la guerre et rétablissaient la paix au Vietnam, a eu lieu entre mars et avril, sur la rive Nord du fleuve Thach Han à Quang Tri, le plus grand échange de prisonniers entre les parties belligérantes :

la République démocratique du Vietnam (Nord-Vietnam), le gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud-Vietnam (alliance du Viêt Công et d’autres mouvements proches du Nord-Vietnam), la République du Vietnam (Sud-Vietnam), et les États-Unis.

Chu Chí Thành y a été envoyé pour couvrir cet événement historique, où il a pu capturer des images les plus saisissantes qui constitueront plus tard l’œuvre Hai người lính, lauréate du Prix Hô Chí Minh un demi-siècle après la guerre.

Des rencontres immortalisées

En revoyant les quatre clichés noir et blanc pris lors de cette mission, qui forment l’œuvre Deux soldats, le vieux photoreporter précise le contexte de leur création et en détaille chacun.

Tay bắt mặt mừng (Poignées de main, visages rayonnants) se penche sur un group de guérilleros, de soldats de l’Armée de libération du Sud et de la République du Vietnam, tous souriants et se serrant la main.

"Tay bắt mặt mừng" (Poignées de main, visages rayonnants).
Photo : Chu Chí Thành/VNA/CVN

Cầu Quảng Trị (Pont de Quang Tri) montre l’image dudit pont, effondré, qui servait de ligne de front entre les deux rives Nord et Sud.

"Cầu Quảng Trị" (Pont de Quang Tri).
Photo : Chu Chí Thành/VNA/CVN

Những bàn tay lưu luyến (Des “au revoir” avec regrets) présente un soldat de l’Armée de libération du Sud levant la main pour dire au revoir aux soldats du régime de Saigon embarquant sur un bateau pour quitter la rive Nord.

"Những bàn tay lưu luyến" (Des "au revoir" avec regrets.
Photo : Chu Chí Thành/VNA/CVN

Hai người lính est l’image la plus contextuelle. Nguyên Huy Tao (Nord-Vietnam) et Bùi Trong Nghia (Sud-Vietnam), épaule contre épaule.

"Hai người lính" (Deux soldats).
Photo : Chu Chí Thành/VNA/CVN

En décrivant cette dernière photo, M. Thành raconte qu’il s’est rendu au poste de garde Long Quang dans le district de Triêu Phong, sur la rive Nord, quelques jours avant l’échange de prisonniers. Là-bas, il a vu des soldats du Nord-Vietnam et du Sud-Vietnam se réunir, fumer et discuter ensemble.

À ce moment-là, j’ai réalisé qu’ils n’étaient plus des adversaires sur le champ de bataille, mais qu’ils étaient devenus des amis. Dans cette atmosphère, un soldat des autorités de Saigon a passé son bras autour de l’épaule d’un soldat de l’Armée de libération du Sud et m’a demandé : +Pourrais-tu prendre une photo de nous deux ?+ Après un instant de surprise, je les ai photographiés. C’est ainsi que la photo +Hai người lính+ est née. À partir de ce moment-là, je me suis dit que cette image était le symbole du désir de paix et que le jour où le Nord et le Sud seront réunifiés était probablement très proche”.

Expositions et retrouvailles

En 2007, lors des expositions “Des moments inoubliables” à Hanoï et “Mémoires de la guerre” à Hô Chi Minh-Ville, Hai người lính a été présentée au public. Immédiatement, la photo a résonné dans le cœur des spectateurs, de par sa portée historique et émotionnelle. Après ces expositions, Chu Chí Thành a entrepris des recherches pour retrouver les deux soldats présents sur son cliché. Grâce à l’aide de ses collègues et d’inconnus, en 2015, le soldat Nguyên Huy Tao a pu être contacté. Deux ans plus tard, surmontant la culpabilité d’avoir combattu dans l’armée du régime de Saigon, Bùi Trong Nghia a également pu être retrouvé. En 2018, les deux soldats et l’auteur se sont rencontrés à l’occasion du 45e anniversaire des Accords de Paris.

Retrouvailles des deux soldats Nguyên Huy Tao (gauche) et Bùi Trong Nghia en 2018.
Photo : VNA/CVN

Cette belle conclusion de l’histoire a incité Chu Chí Thành à soumettre sa candidature pour le Prix Hô Chí Minh 2022 dans le domaine des lettres et des arts. L’artiste ajoute qu’il a été extrêmement heureux de recevoir cette noble récompense et de voir ses photos contribuer à transmettre un message de paix et d’unification. “C’est le plus grand prix et le plus grand honneur de ma carrière de photojournaliste”, confie le photographe chevronné.

Après la libération du Sud et la réunification nationale en 1975, Chu Chí Thành a été envoyé en Allemagne pour une formation journalistique à l’Université de Karl Marx de Leipzig, où il a obtenu son diplôme en 1980. Il est revenu en 1981 à la VNA où il a occupé des postes tels que chef du Service de la photographie, directeur de l’usine d’imprimerie I-TTXVN avant de devenir rédacteur en chef de la revue Nhiếp ảnh (Photographie) de l’Association des artistes photographes du Vietnam (VAPA), président du Conseil artistique de la VAPA, et puis président de la VAPA. Il est maintenant à la retraite.

Il y a 11 ans, Chu Chí Thành a reçu le Prix d’État dans le domaine des lettres et des arts 2012 pour sa série de quatre photos baptisée Từ ngục tối đến thắng lợi trở về (Retour triomphal du cachot), qu’il a également prise lors de l’échange de prisonniers sur la rive Nord du fleuve Thach Han à Quang Tri en 1973.

Son Bach - Linh Thao/CVN

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