Laque et identité culturelle

Par rapport à ses homologues d’Asie, la laque vietnamienne a ses spécificités. Plusieurs générations d’artisans vietnamiens en ont hérité et ne cessent de créer des trésors afin d’en faire une nouvelle matière originale en peinture.

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La laque, un travail traditionnel et artisanal.
Photo : Vu Sinh/VNA/CVN

Depuis plusieurs années, en particulier depuis l’invasion du mode de vie occidental dans le sillage de l’adoption de l’économie de marché, deux problèmes majeurs préoccupent les travailleurs culturels, notamment les chercheurs en sciences humaines, au Vietnam.

Comment préserver l’identité culturelle vietnamienne qui a motivé deux guerres de résistance en 30 ans ? Comment s’ouvrir aux cultures de l’Occident sans perdre cette identité ? Autrement dit, comment concilier tradition et modernité, l’Est et l’Ouest ?

Le deuxième problème embarrasse beaucoup les écrivains et les artistes dont les débats animés au cours de multiples colloques et symposiums ne sont pas arrivés à réaliser l’unanimité des vues. Et c’est tant mieux.

Je suis enclin à croire que ce problème se pose à toute culture, en tout temps, car même les cultures paléolithiques et néolithiques devaient évoluer, changer, c’est-à-dire se moderniser, si on peut anticiper ce terme. Pour persister, tout en gardant son substrat, toute réalisation culturelle doit suivre un processus évolutif soumis aux facteurs endogènes et exogènes.

Concernant la culture vietnamienne, je voudrais prendre comme exemple l’art de la laque.

De la tradition…

On prépare la laque à partir de la sève du laquier qui pousse dans la moyenne région du Nord, en particulier dans la province de Phú Tho, berceau de la culture Viêt de Dông Son qui avait fleuri pendant l’âge du bronze. Le liquide obtenu par incision de l’arbre est transparent. Traité, il a la couleur noire (son then) ou la couleur brune "aile de cancrelat" (cánh gián).

Les fouilles archéologiques, depuis 1961, ont révélé dans les cercueils en forme de barque, appartenant aux tombeaux anciens, des objets en bois ou en cuir laqués, et même des outils pour le travail de la laque. Elles prouvent la naissance de cette industrie primitive au IVe siècle av. J.-C. dans le delta du Nord. Les objets, peu nombreux et peu variés, étaient surtout enfouis avec les morts.

L’artisanat de la laque du quartier de Tuong Binh Hiêp de la province de Binh Duong (Sud) a été reconnu, en janvier 2017, en tant que patrimoine immatériel national.
Photo : An Hiêu/VNA/CVN

Pendant la longue période de domination chinoise (en particulier du Ier siècle au Xe siècle), nous ne possédons aucun document sur la fabrication de la laque vietnamienne. Du XIe au XVe siècles, sous les premières grandes dynasties royales du Vietnam (Lý et Trân), cet artisanat de nouveau laisse des traces visibles, quoique peu nombreuses (à travers les archives, objets de culte, objets enterrés avec les morts).

C’est entre les XVIIe et XIXe siècles que la laque vietnamienne a connu un plein essor, surtout au service de la religion (décoration architecturale, statues, palanquins, panneaux latéraux et verticaux, colonnes...). Elle contribuait également à la momification des moines bouddhiques ; la pagode Đậu (district de Thuong Tín, en banlieue de Hanoï) recèle deux momies de bonzes en position assise de méditation dhyaniste, laquées rouge et or (XVIIe-XVIIIe siècles).

Héritant de l’industrie de Dông Son (Ier millénaire av. J.-C.), la laque vietnamienne de la période XVIIe-XIXe siècles a su assimiler les apports chinois. Elle a amélioré sa technique pour permettre aux objets laqués de résister au climat tropical rigoureux et élargir son éventail de supports (laque sur bois, cuir, terre, pierre, cuivre, rotin, bambou fumé...). Les articles d’usage quotidien sont assez restreints et le gros de la production est réservé aux religions et croyances.

… à la contemporanéité

Cet art traditionnel s’est perpétué avec les mêmes tendances sous la domination française dans les villages du delta du Nord. Dans la première moitié du XXe siècle, les bibelots et autres objets décoratifs laqués au service de la vie profane (boîtes, vases, paravents...) se sont multipliés dans les centres urbains.

La laque vietnamienne s’est renouvelée dans les années 1920-1930 au contact de l’art occidental introduit par les Français par le canal de l’École supérieure des beaux-arts de l’Indochine, ouverte en 1925. L’artisanat ancien (dont on avait même perdu bien des secrets) essentiellement décoratif s’est mué en un art moderne, un art véritable, capable d’exprimer toutes les nuances de sentiments et de pensées. L’École des laqueurs de Hanoï a fait ainsi son apparition grâce aux efforts des jeunes étudiants vietnamiens de cet établissement. Ceux-ci ont découvert la technique de la laque poncée, enrichi la matière, les couleurs, les sujets, le style.

La laque vietnamienne moderne, partie d’une tradition plurimillénaire et du fruit de plusieurs acculturations, pourrait donner un exemple de fidélité à l’identité culturelle nationale, fidélité si on peut dire dynamique et évolutive. Plusieurs villages de la banlieue hanoïenne pratiquent la laque.

Huu Ngoc/CVN
(1995)

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