Le 21 mai. Une cérémonie d’inauguration unique en son genre tant il est rare de voir un hôtel ouvrir un mémorial. Comme l’a fait remarquer Kai Speth, le directeur du Sofitel Legend Metropole Hanoi, «les hôtels ouvrent sans cesse des nouvelles attractions pour satisfaire leurs clients : des bars, des piscines, des spas, mais il est bien plus rare de voir un hôtel ouvrir un abri anti-bombes comme mémorial». Et si le lieu est un témoin de l’Histoire, la grande, son histoire à lui est également captivante. L’événement a bénéficié d’une chance incroyable.
À l’intérieur du bunker. Photo : CTV/CVN |
De nombreux obstacles se dressaient avant cette inauguration. De fait, si on avait connaissance de l’existence d’un abri anti-bombes en temps de guerre, personne n’était capable d’en donner l’emplacement précis. Mettre l’hôtel tout entier en chantier pour le découvrir était, à l’évidence, inenvisageable. Et le récit aurait pu s’arrêter là. C’est donc comme un petit miracle qui s’est produit quand, l’an passé, lors de la construction du bamboo bar, les employés sont tombés sur le bunker, entièrement submergé. Il se trouvait 3 m en dessous du jardin. Durant toutes ces années, l’eau avait repris ses droits sur le lieu, envahissant salles et corridors. Quelques reliques restaient là : une vielle bouteille de vin, une lampe de poche, des morceaux de portes… Des indices comme pour laisser place à notre imagination.
Ce n’est pas sans raison que Kai Speth compare la découverte de ce bunker à celle du tombeau de Toutankhamon en 1922. Alors que l’on descend les marches se trouvant entre le bamboo bar et la piscine, on peut avoir le sentiment de remonter le temps, il y a une quarantaine d’années en arrière lorsque les bombes américaines menaçaient le Vietnam tout entier. Le voyage dans le passé semble bien réel, le bunker de 40 m² a été gardé dans son état d’origine.
110 années à conter
Après avoir revêtu des casques pour notre protection, nous pénétrons dans cet univers du passé. Les salles semblent tout autant gorgées d’humidité que d’histoire… On reste pantois devant la lucidité avec laquelle le lieu a été pensé malgré l’urgence. Deux sorties de secours et cinq salles étaient prévues pour éviter tout effet de panique. Des lampes dans chaque pièce que l’on verrait presque grésiller… Dans une des salles, un mur en particulier attire notre attention. On y déchiffre une inscription, un nom, «Bob Devereaux». Pourtant, ce diplomate australien, venu à Hanoi pour l’inauguration, ne se rappelle pas avoir inscrit son nom. Comment a-t-il pu le graver alors que le béton devait être sec en 1975 ? L’humidité est-elle en cause ou y avait-il un prolongement à l’abri muré dans un second temps ? Comme une fine couche de mystère supplémentaire...
Clou de la visite, le morceau de Joan Baez «Where are you now my son ?» retentit dans le bunker tant chargé d’histoire. Les sirènes d’alerte, les bruits de bombardements au loin, l’agitation anxieuse autour d’eux, les paroles bouleversantes de la chanson,... les visiteurs ont la chair de poule. «On s’y croirait», laisse ainsi échapper l’un d’entre eux, visiblement ému.
Ce vieil abri a été découvert en août 2011 lors de la rénovation du bar Bamboo de l’hôtel 5 étoiles Sofitel Légende Métropole Hanoi. |
Le Sofitel Legend Metropole Hanoi est un hôtel que l’on ne présente pas. Sa renommée précède toute description du lieu. Et c’est sans doute pour cette raison qu’une exposition sur son histoire arrive à point nommé en complément de ce mémorial. Cette dernière nommée «Path of History», une balade sur le sentier de l’histoire, a été mise en place par Andreas Augustin qui a déjà écrit un ouvrage sur l’hôtel plus que centenaire. «On a fait en sorte que les murs parlent», nous a-t-il confié. En effet, le corridor de 18 m nous conte les 110 printemps de l’hôtel à travers une dizaine de planches de présentation très attractives. On a là comme une épopée, celle d’un personnage qui a tant vécu, les périodes de liesse comme les dromes. L’hôtel a vu l’occupation des Français, il a connu la guerre des Américains, il a tenu de tout son prestige malgré les épreuves… Depuis le début de son existence, le Métropole se promet d’offrir une «oasis de tranquillité» à ses clients, en tout temps, et même si les bombes doivent tomber.
L’exposition relate cette histoire avec brio. Une documentation qui lie hier à aujourd’hui… D’anciennes cartes au charme suranné côtoient les éclatantes photos d’un lieu au faste toujours renouvelé. Les clichés donnant à voir la présence des célébrités dans ce lieu mythique ne peuvent que charmer le visiteur de cette exposition quelque peu confidentielle. Comment ne pas céder à l’idée de se mettre à la place de ces témoins de l’histoire tels Gemma Cruz Araneta, journaliste philippine, décrivant l’abri dans son journal en mai 1968 ?
Les visites se font en petit comité, une dizaine de clients de l’hôtel seulement qui ont probablement réservé ce moment plusieurs jours à l’avance. En effet, la liste d’attente ne désemplit pas. Les touristes se passionnent pour cette histoire qui sort de l’ordinaire. Gwenda Sharpe, australienne, s’est dite véritablement touchée par l’expérienne : «Je voulais absolument visiter ce bunker. Pour moi, ce lieu démontre toute la futilité de la guerre». Son mari était, quant à lui, admiratif de la structure de l’abri. «Les employés de l’hôtel ont fait preuve d’un sens des responsabilités hors du commun». Il est impossible de savoir si l’abri aurait tenu sous les bombes. Par chance, le batiment n’a jamais eu à en faire l’expérience. Par chance ? «Ou l’hôtel était trop beau pour être pris pour cible», nous a-t-on dit dans un sourire. Un bel orgueil, bien compréhensible pour un établissement considéré comme «un des derniers grands hôtels de ce nom en Asie».
Léa Ducré/CVN