Au cours du 20e siècle, la civilisation est devenue majoritairement urbaine. La construction des quartiers modernes, grands ensembles et la périurbanisation pavillonnaire sont aujourd'hui les manifestations visibles de ces mutations. "Leurs dispositifs spatiaux font partie du patrimoine des villes contemporaines avec lesquelles les architectes doivent composer dans l'élaboration des nouveaux projets", d’après Madeleine Houbart, secrétaire générale de l'AFEX - Architectes Français à l'Export.
Lors du colloque franco-vietnamien intitulé "Qualité et urbanité dans la ville métropolitaine" tenu récemment à Hanoi, une dizaine de thèmes ont été abordés tels : ville sensuelle ; refaire la ville sur la ville ; exigence de qualité, patrimoine et modernité ; architecture écologique ; grande hauteur, etc. En particulier, l'Identité des espaces urbaines, présentée par l'architecte Olivier Souquet, directeur de la compagnie de Deso Associés a attiré l'attention d'un grand nombre d'auditeurs vietnamiens. La problématique portait sur la construction d'un vaste espace à Thu Thiêm, à Hô Chi Minh-Ville, et l'aménagement urbain de Gia Lâm, en banlieue de Hanoi.
Thu Thiêm et Gia Lâm : en harmonie avec la nature
Un vaste espace en plein cœur de Hô Chi Minh-Ville (Thu Thiêm) de 25 hectares et l'aménagement de ponts a fait l'objet en avril et juillet 2008 d'un concours ouvert international organisé par la ville, portant sur l'aménagement des espaces publics et les quais sur le fleuve Saigon, face à la ville historique.
Il y a deux ans, l'agence française Deso (Defrain Souquet) a été déclarée officiellement lauréate devant Hager international (classé deuxième) et Edaw (classé troisième) pour la réalisation des espaces urbains de Thu Thiêm et la construction de deux passerelles. Le projet de Thu Thiêm correspond à l'aménagement urbain de la boucle du fleuve Saigon face au centre ville historique de la mégapole du Sud. L'ensemble de la zone a été dessiné par le cabinet d'architecture américain Sasaki, à l'exception des espaces publics qui font la liaison avec le centre historique et actuel de Hô Chi Minh-Ville. La zone de projet est actuellement un délaissé semi agricole, à bâtis diffus sans accès direct à la ville.
Il s'agit de créer la zone centrale d'échanges du nouveau district de Thu Thiêm avec le centre ville actuel et le fleuve Saigon, qui va prochainement perdre son statut de port industriel.
Il s'agit d'une proposition urbaine avec la paysagiste Christine Dalnoky, qui vise à mettre en œuvre deux thématiques. Il s'agit d'élaborer un projet porteur de l'identité et de la spécificité des lieux, de son histoire, de sa géographie, attentif à la culture, à l'art et aux usages, face à un développement de l'architecture internationale indifférenciée et homogène. La seconde est de travailler en harmonie avec la nature, le climat et la géographie en "invitant" les eaux pluviales et eaux grises de l'ensemble du quartier de Thu Thiêm sur ces espaces communs, pour les diluer, les traiter, les utiliser comme surface d'évaporation régulant la température de l'ensemble du site.
L'aménagement urbain de Gia Lâm, arrondissement rural rattaché à Hanoi, s'effectue sur un territoire de 1.200 hectares au sud-est de la capitale. Il regroupe des quartiers de logements, de bureaux et de services pour une population de 200.000 personnes, un parc de loisirs et scientifique. Cette zone urbaine est située sur le tracé de la future autoroute Hanoi-Hai Phong.
Ce projet d'urbanisme soulève très concrètement deux grandes questions d'actualité : celle de l'identité au 21e siècle d'un espace urbain spécifique au Nord du Vietnam et celle de la prise en compte des grands défis écologiques mondiaux (démographie, climat, diversité).
L'eau est l'enjeu de support et de construction du paysage, élément naturel indissociable d'une agriculture urbaine de proximité. La ville nouvelle retiendra à maxima les eaux de ruissellement, comme c'est le cas actuellement dans les villages proches.
Il est associé à un dispositif éprouvé et complexe d'irrigation des rizières, et compose sur ces limites des lieux de fraîcheur, des espaces de rencontres aux accès faciles, aux transports publics sur l'eau comme à Venise ou à Istanbul, où s'organisent sur son pourtour différents quartiers reliés par une route digue circulaire.
L'interaction entre la terre et l'eau a façonné le patrimoine paysager de Hanoi. Cette identité se doit d'être conservée, et ainsi se démarquer des standards urbains et architecturaux internationaux.
Une ville porte les marques du temps, par la dimension de ces arbres, par l'enchevêtrement de ces habitations, ou encore, par la profondeur de ses passages ou la dimension de ses ponts.
Les espaces de lacs qui sont au cœur de la capitale portent la marque encore plus ancienne du temps géologique ou le fleuve Rouge passait par là.
Cette échelle de temps géographique est plus que millénaire, elle est la base de notre histoire, cette histoire qui a elle-même façonnée la culture vietnamienne ; cette culture qui est aujourd'hui la raison de nos habitudes et de nos comportements. Tout en contenant son essor économique, l'urbanisme et les paysages de Hanoi de demain doivent raconter ces histoires, car sans histoire à raconter, un peuple n'est rien.
D'après Olivier Souquet, dans son développement démographique et pour sa survie, la ville devra préserver et conserver l'agriculture à ses limites, concevoir des infrastructures qui relient, plutôt que parquer les différentes catégories d'habitants dans des "quartiers archipels" étanches et grillagés. Les nouvelles routes devront rassembler, et ne pas créer des entailles séparatrices, douloureuses et définitives entre le paysage et les hommes. En plus, l'eau en tant que ressource, par sa distribution, son stockage et son évacuation, structurera, comme c'est aujourd'hui le cas, les espaces publics donnant un sens à un paysage urbain et attentif aux prochains changements climatiques. "Dans cette nouvelle ère qui s'annonce, l'homme se souviendra que c'est dans ce rapport au temps géologique subtil et précieux entre la terre et l'eau que la ville a été fondée il y a mille ans. C'est là qu'il trouvera sa place et sa fierté", a-t-il souligné.
Hanoi peut-elle résister à un modèle de développement urbain standard imposé ? Olivier Souquet s'interroge : "La capitale saura-t-elle tirer parti de sa spécificité urbaine et notamment de l'espace de sociabilité de la rue, si propre à la culture vietnamienne, son histoire, sa situation et sa riche histoire culturelle". Dans cette future construction bâtie de la ville et de ses nouveaux quartiers, l'architecture et l'urbanisme sont les moyens immédiatement visibles pour souligner la spécificité et la référence vietnamienne. Ce sont des outils fantastiques au service de l'identité du pays, d'un nouveau modèle mis au service de tous, une résurgence de sa culture qui n'a aucune raison de ressembler au "style international" homogène. "Nous, architectes, ne pouvons continuer à participer à la construction à la chaîne des mêmes centres commerciaux, associés aux mêmes hôtels, aux mêmes lieux interchangeables. Cette perspective est particulièrement inquiétante. Ces centres d'affaires et commerciaux tous identiques, aveugles à la lumière du jour, souvent souterrains, proliférants, sont pourtant des lieux de vie", informe-t-il, avant de dire que ce besoin de nous ressembler partout, et en tout lieu, est légitime, mais dans cette compétition mondiale prioritaire, cela produit des effets pervers, annihilant les caractéristiques humaines propres à chaque peuple et à chaque lieu, les habitudes et les coutumes locales régionales et nationales. La construction et l'extension de Hanoi sont donc une chance dont ne disposent plus les villes déjà constituées. Cette chance, ce nouvel "âge d'or" est unique dans l'histoire du pays, et ne se reproduira plus.
D'après lui, quatre pistes principales pourraient être envisagées sur le développement urbain de Hanoi. Ce sont le développement des politiques urbaines appuyées et cadrées par des institutions publiques permettant l'intervention maîtrisée du secteur privé ; la mise en place d'infrastructures et de réseaux de transport adaptés à la société vietnamienne (développement prioritaire des transports urbains collectifs, valorisation de nouvelles technologies légères de déplacement, utilisation de transport sur l'eau…) ; la recherche et la valorisation d'un savoir-faire de construction en zone humide, et notamment dans les zones de deltas en prévention des inondations, en valorisant les déplacements sur l'eau ; le contrôle de l'urbanisation galopante des périphéries et la préservation des zones agricoles en zones réservées aux usages nouveaux et aux générations futures, réserves de biomasses.
"Nous, architectes, urbanistes et paysagistés, sommes des fabricants de lieux, des révélateurs de ce que le regard ne voit plus ou ne sent plus, nous devons ensemble mettre en place, offrir à tous les acteurs de la construction (états, villes, habitants, investisseurs) des occasions variées faisant émerger des lieux uniques et particuliers, toujours divers, à fort potentiels poétiques et économiques respectueux du passé, du présent et de l'avenir", a-t-il ajouté.
En ce qui concerne la coopération entre Deso Associés et le Vietnam dans l'avenir, Olivier Souquet informe que l'agence Deso développe actuellement un projet d'urbanisme écologique dans le delta du Mekong. Deso travaille sur le projet du bâtiment vert des sciences et techniques de Hô Chi Minh-Ville. Les préoccupations environnementales sont au cœur des préoccupations de Deso : le réchauffement climatique et la montée future des eaux.
Deso a été créée en 2005, dix ans après la rencontre fructueuse des deux architectes Olivier Souquet et François Defrain. Elle réalise des bâtiments publics, des bureaux, des projets urbains et des logements en respectant les valeurs essentielles sur lesquelles l'entreprise a été fondée : innovation, responsabilité, enthousiasme, intégrité, qualité et environnement.
En 2008, l'agence s'ouvre à l'international en remportant des concours et des commandes au Vietnam et en République de Corée. Deso s'est vu décerner le premier prix pour la conception de 2 projets, réalisée sous forme de concours : le concours de Thu Thiêm, qui a eu lieu en 2008 et le concours de Gia Lâm, organisé en 2009.
Un bâtiment capte le paysage et l'urbanisme et doit permettre de l'intégrer et de le situer. C'est dans cet esprit qu'Olivier Souquet et François Defrain approchent les différents projets publics et privés dont ils ont la responsabilité.
Thanh Tuê/CVN