Avec le Tonlé Sap, au Cambodge, le Plaine des joncs permet de régulariser le niveau du bas-Mékong durant la saison des pluies. La saison dite "des hautes eaux" court de mai à novembre. La Plaine des joncs devient alors une vaste mer intérieure qui oblige les habitants à se déplacer en bateau. C'est la saison des pêches miraculeuses. Le poisson linh (Thynnichthys thynnoides) notamment, accompagné de diên diên (Sesbania sesban), un arbuste de la famille des légumineuses, permet de confectionner une spécialité locale.
Autre décor à la saison sèche (décembre à avril). La Plaine des joncs est une vaste étendue de prairies naturelles, de marécages, de bois de cajeputiers, d'étangs à lotus... On trouve notamment une espèce de riz sauvage appelée "riz du ciel" ou "riz du fantôme" ou "riz flottant", qui suit la montée des eaux. Autrefois, en cas de disette, les gens se rabattaient sur ce riz providentiel.
Un dicton dit d'ailleurs :
"Pour qui vient à Dông Thap Muoi poissons, crevettes et riz du ciel sont disponibles"
Riziculture et nature imbriqués
La Plaine des joncs est un paradis pour les amoureux de la nature. Les 7.500 ha du Parc national de Tràm Chim abritent plus de 140 espèces de plantes médicales, 40 de poissons, des dizaines de serpents, de tortues et de nombreuses autres espèces rares et parfois endémiques. Tràm Chim est surtout un sanctuaire ornithologique où 198 espèces d'oiseaux ont été observées, dont les emblématiques pélicans et grues antigone. Symbole de sagesse et de fidélité, la grue trône souvent sur les autels des maisons et dans les temples, perchée sur la carapace d'une tortue qui, elle, symbolise la longévité.
Depuis plus de 20 ans, le creusage de fossés de drainage a transformé en grenier à riz une partie de cette immensité sauvage autrefois impénétrable. La production annuelle atteint des millions de tonnes, dont 2,4 millions rien que dans la province d'An Giang. La Plaine des joncs abrite encore des centaines de milliers d'hectares de territoires plus ou moins vierges. Des caractéristiques qui font de Dông Thap Muoi à la fois un sanctuaire de la nature, un grenier à riz et une zone touristique... potentielle.
Potentielle car tout reste à faire dans ce secteur. Selon Nguyên Van Thành, directeur adjoint du Service de la culture, du sport et du tourisme de la province de Dông Thap, "la Plaine des joncs est une manne tombée du ciel. Afin d'attirer davantage de touristes, nous cherchons à construire des infrastructures spéciales mais orientées vers le contact avec la nature, vers le +tourisme vert+ comme on dit" La province a ainsi investi 10 milliards de dôngs dans la zone d'écotourisme de Gao Giông. Au total, 1.600 ha situés à une heure de voiture de Cao Lanh, dont 300 ha de forêts de cajeputier, des centaines d'hectares d'étangs à lotus, de prairies... Les visiteurs découvrent en canot une nature sauvage bruissante d'aigrettes et où pointent parfois les becs des rares grues antigone... Et comme au Vietnam le plaisir des yeux va souvent de pair avec le plaisir des papilles, on y vend des plats traditionnels du Nam Bô comme l'ophiocéphale maculé grillé, la soupe de poisson linh aux fleurs diên diên... "C'est super, confie la metteur en scène Pham Thi Thành. Je viens juste d'arriver à Gao Giông, je suis très impressionnée par les grandes maisons en bois de cajeputier, caractéristiques de l'habitat de cette région. C'est un lieu vraiment merveilleux".
La province de Long An, pour sa part, cherche à transformer le vestige historique de Nui Dât, situé dans le bourg de Môc Hoa, en zone touristique. Cette butte artificielle surgit au beau milieu d'un lac calme. "Ce district est situé dans le Dông Thap Muoi, une localité agricole. Le tourisme est pour nous le moyen idéal d'accélérer le développement local", relève Nguyên Phu Quyên, maire du district de Môc Hoa.
Selon Nguyên Van Phuoc, responsable du tourisme dans la province de Dông Thap, "la difficulté de notre province ainsi que de toutes celles de la Plaine des joncs est le manque de capitaux. Pendant la saison des hautes eaux, il y a ainsi un manque de moyens de transport et de lieux de séjour pour les touristes. Nous devons donc d'abord nous efforcer d'attirer des investisseurs, nationaux ou étrangers".
Actuellement, les capitaux étrangers y sont injectés au compte-gouttes, dont la grande majorité se concentre dans la transformation des fruits, du riz et des produits de la pêche pour l'exportation. En matière d'infrastructures touristiques, on peut considérer sans exagérer que tout reste à faire.
Jitenda Nath Misa, consul général d'Inde à Hô Chi Minh-Ville, lors d'une visite dans le delta du Mékong, note bien les potentiels dans l'aquaculture, la transformation des produits de la pêche et, surtout, dans le tourisme. "J'ai présenté les potentialités touristiques de cette région à de nombreux investisseurs indiens. Certains sont intéressés mais veulent des informations plus détaillées pour éventuellement investir dans des projets", explique-t-il.
Afin d'accueillir davantage de touristes, la Plaine des joncs devra profiter de ses potentialités ainsi que "dérouler le tapis rouge" aux investisseurs via des politiques attractives. Cela devra se faire dans un souci d'harmonie entre les intérêts économiques légitimes auxquels aspirent les habitants locaux et la préservation des écosystèmes et de la biodiversité. Pour ne pas tuer la poule aux oeufs d'or...
Van Nhân-Minh Thu/CVN