«Ça, c’est un superbe spécimen», lance le pêcheur en brandissant un mollusque long d’une vingtaine de centimètres de l’extrémité duquel jaillit un filet d’eau de mer.
Palourdes royales pêchées près de Tofino, sur la côte pacifique canadienne. |
Avec l’expérience de ses 35 ans passés au large des côtes du Pacifique Nord-Ouest, Freddy Gutmann remplit rapidement trois caisses orange qui fileront quelques heures plus tard vers l’aéroport de Vancouver, direction l’Asie.
Vendu par les pêcheurs environ 30 dollars le kilogramme, le mollusque trônera 24 heures plus tard sur une des meilleures tables de Hong Kong, Pékin (Chine) ou Tokyo (Japon), à six fois le prix initial.
L’engouement pour ce coquillage, boudé par les Occidentaux, est année après année plus exponentiel, porté par les grandes fortunes chinoises qui lui prêtent des vertus prolifiques. «Il y a encore 15 ans, ça ne valait pas plus de 30 cents la livre», se rappelle Freddy.
«C’est dur pour le corps»
Originaire de Tofino, une petite station balnéaire de Colombie-Britannique (Ouest du Canada) prisée par les surfeurs et les hippies vieillissants, le pêcheur se rappelle qu’au début de sa carrière, les propriétaires de chalutiers achetaient les licences de pêche à la palourde pour une bouchée de pain : «à peine 100 dollars, et parfois même le gouvernement les donnait... Maintenant, chacune vaut quatre, cinq millions de dollars», confie-t-il.
Sur le petit port de Tofino, cerné par les montagnes Rocheuses aux cimes enneigées, des marins évoquent des sommes astronomiques telles que 50 millions de dollars par permis et des salaires annuels de 200.000 dollars. Impossible toutefois de vérifier car dans ce microcosme, la pudeur est de mise. Seuls 55 permis de pêche ont été distribués par les autorités canadiennes qui ne comptent pas augmenter les quotas, même si, de l’aveu même des groupes écologistes, la population de palourdes royales est surabondante.
La Palourde Royale est un met très apprécié dans les restaurants à poisson d’Asie. Une aubaine pour les pêcheurs canadiens qui pêchent ce mollusque dans l’océan Pacifique. |
Ce mollusque à la forme ingrate est présent de la Basse Californie mexicaine à l’Alaska, mais c’est surtout sur les rivages de l’État américain de Washington et en Colombie-Britannique voisine que la population y est la plus nombreuse.
Hormis les prix, rien n’a véritablement changé dans cette industrie depuis les débuts de Freddy, il y a 30 ans. «Sauf peut-être la pompe à air à manivelle qui a été remplacée par une pompe mécanique», note le pêcheur.
Pour arracher les palourdes royales des fonds sablonneux du Pacifique, il faut toujours que deux plongeurs, lestés par des ceintures de plomb de 30 kilogrammes, se relaient chaque jour pendant une douzaine d’heures par 15 à 20 mètres de fond.
Reliés au bateau par un tuyau d’air de 300 mètres de long et équipés d’épaisses combinaisons étanches, ils écument le plancher océanique, à la recherche de minuscules trous suggérant la présence du mollusque, caché parfois sous un mètre de sable.
Allongé sur le fond à creuser, «tu as ton visage contre le sol, tu le tiens, mais ça se débat pour se libérer. C’est très difficile à attraper», décrit David Thomas, 48 ans dont 27 passés à traquer la palourde royale.
Carrure de footballeur américain et cheveux ras, il jure que cette saison est sa dernière. «C’est dur pour le corps», confie ce père de famille. «Parfois le courant sous-marin te plaque contre le sol, parfois tu peux te retrouver face-à-face avec un lion de mer (de grosses otaries qui raffolent du mollusque, ndlr)».
Une fois que la période de pêche dans la zone de Tofino sera terminée, la petite flottille d’une trentaine de chalutiers naviguera plus au nord, aux confins de l’Alaska. «Il n’y a personne là-bas, certains endroits ne sont même pas cartographiés. Ici, tout est blanc», dit David en pointant la carte affichée par l’ordinateur de bord.
Mais après tant d’années passées en mer, aucun des trois membres d’équipages du Hideaway II n’a été séduit par le goût iodé qui rappelle l’huître et la texture unique de ce mollusque.
«C’est pour les Asiatiques», commente, laconique, David, le plongeur.
AFP/VNA/CVN