Les affiches se sont développés et prennent de l'envergure au Vietnam durant les années de résistance pour l'indépendance et la réunification nationales (1960-1974). En 1957, le ministère de l'Information a établi un corps de dessinateurs spécialisés dans la création d'affiches, afin de soutenir le gouvernement de la République démocratique du Vietnam et transmettre les messages importants de l'État à la population. Cette décision du ministère de l'Information a abouti au développement d'un contingent d'affichistes et à l'épanouissement de ces œuvres. Tous les peintres diplômés de l'École des beaux-arts d'Indochine (Tô Ngoc Vân, Trân Van Cân, Nguyên Tu Nghiêm, Bùi Xuân Phai, Sy Ngoc...) ont participé à la création de ces affiches, qui font partie intégrante de leur œuvre, selon le président de l'Association des beaux-arts du Vietnam, Trân Khanh Chuong.
Plusieurs professionnels ont fait remarquer qu'à l'époque de la résistance, ces affiches constituaient le point fort de la peinture vietnamienne. Aujourd'hui, le Musée de la révolution du Vietnam conserve une collection de plus de 1.000 affiches de la première guerre d'Indochine. Elles retracent les appels, les encouragements à toutes les couches sociales à participer à la résistance. Elles reflètent l'engagement à la lutte, à la production et aussi l'aspiration au bonheur dans la vie quotidienne. Les affiches de l'époque de la résistance sont des documents historiques symbolisant l'esprit des Vietnamiens.
"L'art pictural des affiches est typique des pays socialistes. Au Vietnam, elles ont leurs propres caractéristiques, pleines de couleurs, et très convaincantes. Mais pas d'exhibitionnisme", remarque Dominic Scriven, directeur du fonds d'investissement Dragon Capital (Grande-Bretagne). Ce dernier a un faible pour les affiches vietnamiennes et a présidé une exposition de 140 pièces appartenant à 4 collectionneurs britanniques au Musée des beaux-arts de Hô Chi Minh-Ville. Sa collection personnelle y était également présentée.
Le pouvoir de l'image
Dans une petite maison située rue Cua Nam (Hanoi), le dessinateur Trân Mai continue à créer des affiches. Autodidacte, cet artiste décrit sa passion pour ce type de peinture qu'il nourrit depuis 40 ans. "À la fin des années 60, les attaques meurtrières de l'armée américaine dans le Nord ont suscité mon engouement à la création d'affiches", raconte-t-il. "À cette époque, les radios étaient rares, tout le monde s'informait sur la guerre grâce aux haut-parleurs et aux affiches. Les affiches étaient ainsi un noble intermédiaire de l'information des victoires du peuple du Nord", raconte Trân Mai.
Travaillant comme journaliste, l'affichiste était absorbé continuellement à la création de ses œuvres. Si un jour, un avion américain était abattu par la DCA vietnamienne, le lendemain, des affiches montrant cet événement et signées Trân Mai inondaient sa ruelle, son quartier. L'artiste peintre oeuvrait aux sons des sirènes d'alerte, des bombardements américains, et faisait face à la pénurie de matières premières, peintures et papiers... Seule comptait l'importance d'informer ses compatriotes de l'actualité brûlante. "Pendant les années de résistance, les affiches encourageaient le patriotisme, déclare Trân Mai, aboutissant à la victoire absolue et à la réunification nationale. La création d'affiches semble facile à présent, mais la réalité de l'époque était très différente, ajoute le vieil homme, en précisant : "L'affichiste doit être capable de généraliser le contenu, d'utiliser des couleurs claires et vives, de s'exprimer dans un langage concis". Trân Mai est toujours passionné par la création d'affiches et leur conservation, comme en témoigne son domicile où s'empilent des centaines d'œuvres, devenu le lieu de rendez-vous d'artistes et d'aficionados.
Vif intérêt des collectionneurs
Les affiches attirent non seulement les amoureux des beaux-arts et de l'histoire vietnamiens, mais encore les touristes étrangers. Ces derniers les considèrent comme un souvenir très vietnamien. De nombreuses galeries de peinture situées dans les rues touristiques de Hanoi et Hô Chi Minh-Ville vendent beaucoup plus d'affiches aux clients étrangers que d'autres sortes de peintures, selon leurs patrons.
Chaque amoureux de l'art s'intéresse à un thème particulier. En général, les affiches sont divisées en 3 thèmes : engagement contre la guerre, résistance à l'occupant et portait du Président Hô Chi Minh, d'après Pham Manh, collectionneur et patron d'une galerie située rue Ly Quôc Su, à Hanoi. Les collectionneurs d'affiches font attention à la date de création de l'œuvre. Plus l'affiche est vieille et originale, plus son prix est élevé, entre 200-400 dollars par œuvre. "Pour connaître l'identité et l'origine d'une affiche, les collectionneurs examinent attentivement la signature de son auteur", précise Pham Manh qui a hérité de cette passion pour les affiches de son père et de son grand-père.
L'Américain Davis Cornish, 28 ans, qui a travaillé au Vietnam pendant 4 mois, n'a pas manqué, avant de quitter le pays, d'acheter 4 affiches datant de la 2e guerre d'Indochine. "C'est une commande de mon père. Ancien vétéran du Vietnam, il s'était opposé à ce conflit irrationnel provoqué par les États-Unis. Il sera très ému en voyant ces affiches de propagande contre l'armée américaine ou l'ancien président Richard Nixon", confie le jeune homme.
Kay Silabetzschky, un Allemand ayant vécu et travaillé longtemps au Vietnam, a consacré plusieurs années à collectionner des affiches contre la guerre au Vietnam. "Grâce à celles-ci, j'ai appris beaucoup de choses sur le passé du Vietnam, sans lire de livres d'histoire", déclare-t-il, en ajoutant, "les affiches sont l'âme de l'histoire".
Quynh Trang/CVN