Une usine de fabrication du parfum à Kannauj, une petite ville du Nord de l’Inde. |
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«Kannauj est à l'Inde ce que Grasse est à la France. Ici, la fabrication du parfum est un art. Cela fait partie de notre culture et de notre héritage", déclare Shakti Vinay Shukla, vice-directeur du Centre des fragrances et des arômes de la ville.
Mais comme d'autres industries traditionnelles du pays, elle doit affronter les forces de la modernité, représentées dans son cas par les marques internationales, comme Armani ou Chanel, vers lesquelles se tournent de plus en plus d'Indiens au pouvoir d'achat croissant.
Laxmi Narayan, 72 ans, fabrique depuis trente ans des essences à base d'huile végétale selon une méthode millénaire. "Fabriquer ces essences est un travail difficile", souligne-t-il, à travers un nuage de fumée s'élevant d'un feu de bois sur lequel frémissent des liquides dans des pots en cuivre. L'attention du parfumeur doit être constante. "Nous nous fions à notre instinct, nous savons à l'odeur et à l'aspect que les essences sont prêtes", ajoute-t-il.
Sushil Singh, un cadre de la distillerie, affirme que les machines ne peuvent pas remplacer l'expertise d'un homme. "L'odeur sera perdue si on commence à utiliser des machines. Les gens oublient la valeur de ces essences. Mais nous savons ce qu'il faut y mettre pour les produire. Pour nous, cette essence est notre vie".
Tous les matins, les paysans des environs de Kannauj amènent aux distilleries de la ville des sacs entiers de pétales de roses, de jasmin et d'autres fleurs. Lors d'un processus qui s'étale sur plusieurs jours, les fleurs sont mêlées à de l'eau, chauffées dans des pots en cuivre, avant que la vapeur soit captée par un tuyau de bambou dans un bocal contenant de l'huile de bois de santal, base de ces essences.
Outre l'engouement des Indiens pour les parfums étrangers, l'industrie traditionnelle pâtit d'une hausse des coûts de l'huile, importée en grande partie car rare en Inde.
Cette industrie "lutte pour sa survie", estime Rohan Seth, vice-président d'une fédération qui regroupe 800 acteurs du secteur.
Kannauj était autrefois une place réputée pour le commerce des parfums, des épices et de la soie, exportés vers le Moyen-Orient. Ses parfumeurs fournissaient la cour des empereurs moghol qui règnent sur l'Inde à partir de 1526 pour près de 300 ans, et étaient réputés dans tout le pays. Jusqu'à il y a peu.
"La ville comptait 700 distilleries jusqu'à la fin des années 1990", indique Pulkit Jain, de la distillerie Pragati Aroma Oil Distillers. "Maintenant, il n'y en a plus qu'environ 150. Les fragrances à base de produits chimiques ou de paraffine sont bien moins chers à fabriquer, ce qui fait que les industriels préfèrent les utiliser".
Selon une étude de la Fédération nationale des parfumeurs, l'Assocham, parue en mai, le marché des fragrances en Inde croit de 30% chaque année et représente actuellement 270 mil-lions de dollars US (207 millions d'euros), dont 30% sont des parfums produits localement.
Les musulmans, clients des parfums régionaux
Armani, Azzaro et Burberry sont les trois marques les plus vendues en Inde, ajoute cette étude. Dans les ruelles du vieux New Delhi, Praful Gundhi, 49 ans, gère une échoppe fondée par sa famille en 1816, qui attire autant les esthètes à la recherche d'une odeur rare que ceux qui veulent un parfum bon marché.
Dans un magasin de parfums à New Delhi. |
Ses fragrances sont emprisonnées dans de délicats flacons colorés et les vendeurs prennent soin de ne pas les libérer, en collant avec soin les étiquettes marquées aux noms de "Iceberg", "Musc blanc" ou "Or de santal".
"Les musulmans sont nos principaux clients car l'islam interdit les parfums à base d'alcool, contenu dans la plupart des fragrances de marque étrangère", déclare Gundhi. "Même les touristes viennent chez nous en raison du caractère bio et naturel de ces parfums. Ils savent que ces essences sont douces à la peau, elles ne provoquent pas d'allergie", affirme-t-il.
Un flacon de 10 millilitres d'essence de rose pure peut valoir 14.000 roupies (200 euros).
Mais pour Anshul Agarwal, un homme d'affaires de 34 ans, rien ne vaut les marques étrangères disponibles dans les centres commerciaux de la capitale. "J'adore mon Calvin Klein et mon Davidoff", affirme-t-il.
AFP/VNA/CVN