>> Malgré le COVID-19, des centaines de milliers d'hindous se baignent dans le Gange
Un homme remplit des bidons avec l'eau de fonte du glacier Gangotri, principale source du Gange, dans l'Uttarakhand en Inde, le 15 septembre. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Les destinataires utilisent, avec parcimonie, le précieux liquide pour célébrer des occasions importantes, comme les naissances, les mariages, les funérailles, les fêtes religieuses ou même l'acquisition d'un bien coûteux.
L'eau est recueillie à même la source du Gange, fleuve sacré pour les hindous, qui traverse l'Inde sur 2.500 km.
Elle est "destinée à tout Hindou qui ne peut pas venir ici en personne", explique Ramesh, l'un des employés de Gangotri, ville de pèlerinage hindou.
"Je suis béni de participer à une initiative qui réaffirme notre foi hindoue, en livrant cette eau divine aux quatre coins du pays", poursuit-il.
Cette entreprise compte parmi de nombreuses autres, de la plus symbolique à la plus imposante, initiées par le Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi, pour promouvoir sa religion dans le pays officiellement laïc depuis son indépendance, il y a 75 ans.
L'eau, une fois en jerrican, est transportée par camion à 100 km en aval jusqu'à l'usine d'embouteillage, où elle est laissée trois ou quatre jours à décanter. Elle est ensuite filtrée avant d'être transvasée manuellement dans des bouteilles en plastique de 30 centilitres.
Eau gratuite
L'eau et la bouteille sont gratuites, les hindous qui les commandent ne paient que les frais de port, soit l'équivalent d'un euro. Ces petites bouteilles, portant une étiquette bleue et scellées par un bouchon rouge, ont été expédiées par millions depuis le lancement du programme, il y a trois ans.
Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Modi en 2014, son gouvernement a placé l'hindouisme au coeur de son projet pour la plus grande démocratie du monde. L'Inde, où vivent 1,4 milliard d'habitants, compte 98% d'hindous pour 210 millions de musulmans.
Le Parti nationaliste hindou (BJP) de Narendra Modi et sa branche idéologique Rashtriya Swayamsevak Sangh considèrent que l'hindouisme est l'essence même de l'Inde.
Le plus grand projet religieux de M. Modi est la construction d'un grand temple à Ayodhya sur le site d'une mosquée séculaire détruite il y a trente ans par des fanatiques hindous. L'attaque avait engendré des violences interconfessionnelles ayant fait plus de 1.000 morts, essentiellement musulmans.
L'État du Maharastra, dirigé par le BJP, finance la construction, au large de Bombay, d'une statue de 210 m, d'un coût de 300 millions d'USD, représentant le roi guerrier hindou Chhatrapati Shivaji qui, au XVIIe siècle, a défié l'empire moghol avec quelques succès.
Le projet d'autoroute de Chardham, dans l'État de l'Uttarakhand, longue de 900 km, destinée à faciliter l'accès des pèlerins hindous à quatre temples sacrés dans l'Himalaya, a été approuvé par le gouvernement à un coût de 1,5 milliard d'USD.
Pays "hindou de facto"
Des Hindous dans les eaux du fleuve sacré Gange, en ville d'Allahabad, en Inde. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Ces sites accueillent déjà des centaines de milliers d'hindous chaque année, et les écologistes s'inquiètent de l'impact de la construction d'autoroutes et de tunnels sur l'écosystème fragile de cette région.
Des recherches consacrées aux vertus thérapeutiques de l'urine de vache, animal sacré dans l'hindouisme, et la quête de "preuves" de la véracité des légendes des écritures saintes hindoues, sont financées par les deniers publics.
Certains manuels scolaires ont été réécrits de façon à gommer le rôle historique de l'empire moghol dans l'édification de l'Inde. De même, les villes aux noms à consonance musulmane sont peu à peu débaptisées pour prendre des noms hindous.
Ces "initiatives spectaculaires (...) forgent un esprit majoritaire et renforcent, à la perfection, le sentiment que désormais nous sommes un pays hindou de facto", estime Hartosh Singh Bal, rédacteur politique pour le magazine The Caravan.
Pour lui, "Modi sait exactement ce qu'il fait".
"Si les détracteurs soulèvent désormais des problèmes pour les minorités ou en matière d'injustice, ils peuvent être étiquetés comme étant opposées à de tels projets de livraison d'eau sacrée du Gange - et (ainsi) les faire taire".
Les destinataires de ce précieux liquide sont loin de ce type de préoccupations, à l'image d'un facteur de New Delhi, Rupesh Kumar, 23 ans, qui effectue notamment des livraisons d'eau bénite, ce qui lui donne le sentiment d'avoir "une responsabilité supplémentaire".
"Nous utilisions également l'eau du Gange dans ma famille pour toutes les occasions spéciales et religieuses", dit-il et "les gens sont souvent très reconnaissants et polis lorsque je livre ces bouteilles à leur domicile".
AFP/VNA/CVN