Haïti entraîné dans le cercle vicieux de la crise politique et humanitaire

Haïti dispose enfin d'un nouveau gouvernement mais, sans Parlement pouvant lui donner sa légitimité ni perspectives électorales, le pays reste paralysé par une crise politique aux conséquences sociales, économiques et sécuritaires alarmantes.

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Le président haïtien Jovenel Moïse, le 12 janvier 2020 à Port-au-Prince.
Photo : AFP/VNA/CVN

Cela faisait près d'un an que le pays de la Caraïbe était dirigé par un gouvernement intérimaire. Joseph Jouthe, nommé lundi 2 mars, est le cinquième Premier ministre du président Jovenel Moïse depuis son arrivée au pouvoir en février 2017.

Mais ni la politique générale de M. Jouthe ni son cabinet, dont la composition a été rendue publique mercredi, ne peuvent obtenir l'approbation des députés et sénateurs : les élections législatives n'ayant pas été organisées à l'automne 2019, le parlement est inopérant depuis janvier.

"Haïti n'a ni loi électorale ni budget électoral. Le président Moïse peut les faire passer par décret mais les manifestations populaires et la défiance montrent clairement que cela ne serait pas considéré comme légitime", a témoigné mercredi 4 mars l'avocate Ellie Happel, directrice du programme haïtien Global Justice Clinic devant la Commission des droits humains du Congrès des États-Unis.

Elu à l'issue d'un processus électoral qui a duré près de deux ans et auquel à peine 20% de l'électorat a participé, M. Moïse était inconnu du grand public avant son entrée en politique à l'occasion de la campagne présidentielle.

Décrié depuis la première heure par ses principaux concurrents, le chef de l'État haïtien a rapidement concentré la colère populaire et les manifestations exigeant sa démission se sont multipliées à travers le pays.

Corruption et pauvreté

Dans ce pays où plus de 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté (moins de 2,41 dollars américains par jour selon la Banque mondiale), la révolte contre Jovenel Moïse a gonflé quand la Cour supérieure des comptes a fait état en mai 2019 de son implication présumée dans un vaste scandale de corruption s'étalant sur les dix années précédentes.

Face à cette défiance, sans que la police nationale n'ait les capacités de contrôler l'ensemble du territoire, l'insécurité s'est amplifiée au-delà des seuls bidonvilles de la capitale, aux mains des gangs armés depuis des années.

À l'automne 2019, des manifestations et des barricades dressées sur les principaux axes routiers ont abouti à un blocage quasi total des activités. La majorité des écoles ont par exemple gardé portes closes plus de deux mois.

Rétablir la sécurité, en garantissant la libre circulation des personnes et des biens sur le territoire, a été la priorité donnée par le président à ce cabinet ministériel mais ses capacités d'intervention paraissent minces.

"Un nouveau gouvernement dans un contexte aussi complexe, sans les ressources budgétaires adéquates, sans un climat apaisé, sans un vrai dialogue national, sans une volonté réelle de divorcer d'avec les pratiques de corruption ne fera pas de miracle", analyse l'économiste haïtien Etzer Emile.

Investissements privés au plus bas

Outre cette impasse politique, la recrudescence des enlèvements contre rançon enregistrée en Haïti depuis plusieurs semaines est un coup supplémentaire porté à l'espoir d'une relance économique.

"La misère s'est accélérée. Les investissements privés, domestiques et étrangers, n'ont jamais été aussi faibles depuis ces dernières années", déplore M. Emile.

Un tiers des habitants a aujourd'hui besoin d'une aide humanitaire d'urgence, parmi lesquels un million de Haïtiens sont en situation d'insécurité alimentaire sévère, échelon qui précède la situation de famine selon la classification utilisée par le Programme alimentaire mondial.

L'effondrement de la fragile économie du pays n'est, pour l'heure, évité que grâce au large soutien financier des Haïtiens de la diaspora.

En 2019, quelque 3,3 milliards de dollars américains ont été envoyés en Haïti via des transferts de fonds à titre privé, provenant principalement des États-Unis, du Chili et du Canada, ce qui représente plus d'un tiers du produit intérieur brut haïtien.

AFP/VNA/CVN

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