Apparu pour la première fois devant le public il y a 3 ans, au café Hôi Ngô (Retrouvailles), Hô Chi Minh-Ville, le guitariste mutilé Thê Vinh semblait s'intégrer entièrement dans l'espace de musique propre à Trinh Công Son, un feu compositeur de talent qu'il admire. Aujourd'hui son surnom de "guitariste solo" est très connu chez les artistes de la mégapole du Sud. Jouer de la guitare avec une seule main, c'est déjà extraordinaire, mais souffler en même temps dans un harmonica…
Petit, peau mate, cheveux bouclés, Thê Vinh s'assoit devant le micro, guitare en bandoulière. La main gauche court le long manche, les lèvres sur un harmonica fixé au bout d'un appareillage en fer "style Bob Dylan", l'amateur présente, lui seul, avec virtuosité, un "concert en duo". Vinh avoue : "Je ne suis pas professionnel, je suis conscient de mes limites. Mais j'ai une âme d'artiste. Par la musique, notamment celle de Trinh Công Son, je peux m'épancher et exprimer mes états d'âme".
Passion + assiduité = réussite
Né en 1970, Thê Vinh a eu une enfance malheureuse. Orphelin de père puis de mère à l'âge respectivement de 4 ans et 7 ans, Vinh, accompagné de ses frères et sœurs, part vivre avec les grands-parents dans un village rural de la province de Bình Thuân (Centre). Après les heures de classe, le garçon fait paître ses bœufs sur la digue. Un soir, alors qu'il ramène ses bêtes à l'étable, sa vie bascule. "Alors que j'étais sur le dos d'un boeuf, celui-ci s'emballe et je chute lourdement. Bras droit cassé. La situation financière difficile de la famille ne permettant pas de m'hospitaliser, je suis alors soigné à domicile avec des remèdes traditionnels. Résultat : mon bras se nécrose et il faut finalement le couper". Mutilé, le garçon de 12 ans ne veut pourtant pas abandonner ses études. Il apprend à écrire et continue ses besognes ménagères et champêtres avec la main gauche. Intelligent et studieux, il obtient le bac. Puis, il vient à Hô Chi Minh-Ville pour gagner sa vie. Encouragé par des étudiants, Thê Vinh s'engage aux études préparatoires avant de réussir, un an après, l'examen d'entrée à l'Université d'économie. Sa vie estudiantine n'est pas moins difficile, il doit faire des petits boulots comme garder et réparer des vélos, donner des cours aux écoliers… À sa sortie d'université, Vinh trouve un bon job dans une entreprise de téléphonie mobile à Hô Chi Minh-Ville.
Mais, pourquoi la guitare ? "Cette passion, je l'ai dès mon enfance. À cette époque, quand j'écoutais mon oncle jouer de la guitare, j'étais comme ensorcelé. Malgré mon handicap, j'ai cherché à +dompter+ l'instrument par tous les moyens : avec un bâton attaché au moignon du bras, avec les pieds puis, enfin, avec la seule main gauche qui s'occupe à la fois d'appuyer et de pincer". Avec le temps, une passion et une assiduité formidable, il a pu enfin maîtriser sa guitare. Il a ajouté l'harmonica, un "instrument bien convenable" adapté à ses capacités. Il est depuis un "guitariste solo" renommé et membre du groupe ATB.
Ces derniers temps, Thê Vinh vient vivre dans la province de Bình Duong où il donne des cours supplémentaires aux lycéens. Chaque week-end, sur sa vieille moto, il revient à Hô Chi Minh-Ville pour "jouer au café Hôi Ngô". De temps en temps, en compagnie d'autres artistes handicapés, il organise une tournée dans une région pauvre reculée. "L'entrée est libre. Et nous sommes ravis de voir l'afflux des spectateurs", sourit le "guitariste solo" qui, malgré le succès, n'a pas oublié d'où il vient.
Nghia Ðàn/CVN