Grandes pattes, long cou et queue en panache, la grue cendrée est l’oiseau emblématique du lac du Der. |
Plus grand lac artificiel d'Europe, le Der offre depuis sa création en 1974 un havre de paix aux grands oiseaux migrateurs qui se massent sur les îlots et les vasières pour y passer la nuit à l'abri des prédateurs.
Il aura fallu engloutir trois villages et des forêts de chênes pour construire ce réservoir de 4.800 hectares bordé de 77 kilomètres de rives à cheval entre la Marne et la Haute-Marne (Centre Est) afin de prévenir et réguler les inondations du bassin parisien. "Un projet gigantesque qui serait probablement largement contesté de nos jours", remarque Aurélien Deschatres le coordinateur national du réseau Grues France de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Selon lui, plus de 200 espèces d'oiseaux dont des rares - pygargues à queues blanches, butors étoilés ou encore hérons pourprés - peuplent le site classé depuis 1986 "zone spéciale de conservation" par le réseau "Natura 2000", un réseau de lieux écologiques européens destiné à préserver la biodiversité. Mais ce sont surtout les grues cendrées et leurs envols matutinaux majestueux qui ont fait la réputation du lac auprès des amoureux de la nature.
Un groupe de grues cendrées prend son envol aux alentours du lac du Der, sur la commune de Montier-en-Der. |
"Les grues qui passent l'été en Europe du Nord se regroupent en Allemagne avant d'entreprendre la traversée vers la péninsule ibérique. Dès la création du lac, elles ont trouvé des conditions d'escales idéales et sont chaque année de plus en plus nombreuses à se poser et même à demeurer pendant les hivers doux", explique M. Deschatres.
Selon les estimations de la LPO, entre 80.000 et 100.000 de ces échassiers, soit près d'un quart de la population européenne, ont été dénombrés aux abords du lac fin octobre et environ 60.000 séjournaient encore sur le Der la première semaine de novembre, attendant des conditions météorologiques favorables à la poursuite de leur voyage.
Un long vol plané synchronisé
"Celles qui décident de partir exploitent les ascendances pour gagner de l'altitude avant de prendre un cap sud-ouest profitant si possible d'un vent de dos pour augmenter leur vitesse", explique l'ornithologue.
Des grues cendrées volent à l'aube le 7 novembre au dessus du lac du Der-Chantecoq avant leur migration vers l'Espagne. |
"Mais si la douceur persiste, entre 20.000 et 40.000 grues sont susceptibles de passer l'hiver sur place en se nourrissant de graines dans les champs alentours", précise-t-il.
Ce plus grand échassier d'Europe (2 mètres d'envergure pour 4 à 6 kilos) au plumage gris ardoise avec un cou noir, tache rouge sur la tête et queue touffue, quitte aux premières lueurs de l'aube son dortoir en "claironnant" continuellement et vole en formation serrée avec ses congénères vers les champs fraîchement labourés ou les pâtures pour trouver sa pitance. À la nuit tombée, les grues repues se reposent au milieu du lac dans un long vol plané synchronisé.
Inquiets des quelques dégâts provoqués par les volatiles dans leurs champs, les agriculteurs ont négocié une enveloppe de 100.000 euros auprès de la Région Champagne-Ardenne.
"Les nuisances sont surtout dues au nombre croissant de grues qui restent pendant l'hiver, et en cas de surpopulation déraisonnable il faudrait réguler cette espèce", estime pour sa part Jean-Louis Blondel, un représentant syndical agricole.
Un scénario inimaginable pour la LPO qui rappelle que la grue cendrée est un animal protégé depuis 1967 et pointe l'apport économique d'un "tourisme ornithologique" en pleine croissance.
Selon l'office du tourisme du lac du Der, en plus des 200.000 touristes recensés l'été, près de 100.000 amateurs d'oiseaux venus de toute l'Europe fréquentent le site d'octobre à mars.
AFP/VNA/CVN