Évasion crépusculaire

Nous y sommes ! Juin est arrivé, et avec lui commence la saison d'été et son habit de chaleur et de pluie. Et même si j'avais perdu le fil du temps ou mon calendrier par hasard, je pourrais reconnaître ce moment par le seul changement de rythme de la vie vietnamienne…

Les choix d’«évasions crépusculaires» sont illimités à Hanoi.

Cette année a été particulièrement froide. Je me souviens encore de cette promenade en moto avec mon ami Tuân au cours de l'hiver. Nous avions opté pour la panoplie "oignon" : plusieurs couches successives de chandails, pulls, gilets et veste fourrée, trois pantalons l'un dans l'autre, deux paires de chaussettes, gants… Bref, de quoi faire renoncer la bise la plus féroce à nous geler l'intimité ! Et pourtant, nous grelottions sur nos motos comme fleur de lotus dans le vent, à en avoir des glaçons sur le bout du nez. Combien alors nous en rêvions de ces mois d'été, où le soleil nous caresserait la peau lors de nos escapades motorisées ! Et Juin est là. Ce n'est pas encore le grand soleil d'été, mais déjà on observe ce qui caractérise le réchauffement de l'atmosphère au Vietnam : la transhumance nocturne, l'embouteillage réfrigéré, le pataugeage impromptu ! Aujourd'hui, je vous emmène pour la première…

Fin des cours

Quand la journée a été torride, rien de tel que de profiter de la relative douceur vespérale pour flâner dans la ville. Sauf que, si en Europe, le quêteur de fraîcheur a plutôt tendance à se dégourdir les jambes en faisant du lèche-vitrine ou en baguenaudant le long d'avenues ombragées, ici, au Vietnam, on dépense l'essence pour le plaisir des sens !

À chacun son moment d'évasion motorisée : pour les jeunes adolescents, c'est de préférence en fin de soirée, au moment où la nuit permet toutes les transgressions ; pour les plus âgés, c'est juste avant le repas du soir, histoire de s'aiguiser l'appétit ; pour les familles, c'est plutôt entre chien et loup, pour admirer les dernières lueurs du jour et les premières lumières de la nuit…

Comme je fais partie du dernier groupe, c'est en allant chercher ma fille à l'école que j'entreprends ma transhumance quotidienne. À 17h00, mon épouse saisit le casque de sécurité de ma fille, et nous enfourchons la moto sous les aboiements de tous les chiens du quartier. Je ne sais s'ils nous souhaitent bonne ballade, ou s'ils nous assurent que les poules seront bien gardées en notre absence. En tout cas, inutile d'espérer s'éclipser discrètement avec ce tintamarre canin !

À 17h05 : Je suis confortablement assis sur la selle de ma moto, tandis que la mère de ma fille pénètre à l'intérieur du jardin d'enfant pour aller quérir notre progéniture. En les attendant, je fais forces sourires aux petites bouilles qui s'agglutinent derrière la grille pour venir observer de plus près ce curieux "ông", dont ils savent par ma fille qu'il s'agit d'un papa étranger. Tiens, justement la voici ! Elle se rue vers moi, déjà coiffée de son casque rose à visière, qui lui donne l'air d'un bonbon acidulé. On se fera des bisous plus tard, parce qu'avec les casques ce serait plutôt des coups de gong. Hop ! J'attrape ma fille sous les aisselles et je la hisse devant moi, où elle s'installe en figure de proue, tantôt assise sur le bout de la selle, tantôt debout sur la plate-forme, toujours enserrée par les jambes paternelles qui lui servent de ceinture de sécurité… Je sens une main sur mon épaule et un mouvement derrière moi : le troisième membre de la famille est, à son tour, installé, calé entre mon dos confortable et le coffre de notre deux-roues. Nous sommes parés : eux vont pouvoir admirer le paysage, et moi je vais devoir piloter dans la cohue !

Soir trop court

Nous commençons par emprunter la rue An Duong, qui borde le fleuve Rouge. L'occasion pour ma fille de rire aux éclats quand nous sautons sur les "gendarmes couchés", ces ralentisseurs en forme de dos d'âne qui sont sensés faire ralentir les conducteurs. Et ici, les gendarmes sont gros ! Il faut presque s'arrêter si on ne veut pas être éjecté de sa selle… Mais, même si nous passons ces obstacles à la vitesse d'un escargot poitrinaire, le simple fait d'avertir ma fille en criant «Attention aux fesses !» suffit à la faire hurler de joie, en secouant son gros casque-bonbon sous mon nez !

Passés les soubresauts de cette rue, nous rejoignons la grande avenue de la digue, qui nous emmène entre voitures klaxonnant, camions tonitruants et motos pétaradantes, à l'entrée du pont Long Biên. C'est le moment de tourner à gauche pour laisser les quatre roues continuer leur chemin en longeant la mosaïque murale, tandis que nous traversons le fleuve en côtoyant la ligne de chemin de fer qui transporte les touristes vers Hai Phong, l'entrée de la baie d’Ha Long (Nord).

Si nous retrouvons entre deux-roues, la route ne nous épargne pas : le revêtement rapiécé du vénérable ouvrage d'art me donne l'impression d'être sur un tapis vibrant. Je cramponne encore plus le guidon, tout en maintenant fermement ma fille entre mes jambes, alors que son casque frôle dangereusement mes mâchoires au rythme des soubresauts de notre monture. Décidément, le trot est véritablement l'allure que je préfère le moins en équitation !

Mâchoires crispées et bras endoloris, nous arrivons dans le quartier de Gia Lâm, de l'autre côté du fleuve. Quartier que nous traversons à vive allure pour nous arrêter brusquement à un endroit qui fait frétiller ma fille depuis quelques minutes : un petit square qui abrite quelques manèges et attractions pour enfants. J'ai à peine le temps de freiner que déjà le bonbon quitte la tête de ma fille pour se retrouver dans mes mains, vite rejoint par le casque blanc de mon épouse qui elle court déjà après ma fille qui s'est précipitée vers le manège, sans se soucier de la nécessité d'acheter des tickets pour avoir le droit de se faire tourner la tête !

Le temps que je gare ma moto, que j'échange les plaisanteries habituelles avec les gardiens du lieu sur mon accent vietnamien, mon apparente bonne santé, la beauté de mon épouse, et la vigueur de ma fille, les personnes concernées sont déjà, pour l'une en train de chevaucher un percheron qui tourne en rond, pour l'autre en train de mitrailler la première avec son appareil photo - téléphone portable !

Quelques cavalcades foraines plus tard, je me retrouve à pêcher des poissons de plastique aimantés dans une eau saumâtre, dans le seul but de les rejeter à l'eau quand le panier qui nous été remis est plein. Allez, il est temps de reprendre notre route ! Les écharpes de nuit commencent déjà à envahir le ciel. En arrivant chez nous, il fait déjà nuit, les chiens frétillent de joie en nous accueillant. Dans l'air flotte l'odeur du repas qui nous attend…

La semaine prochaine, tenez-vous prêts à partir de 20h00. Ma fille nous emmènera au paradis des enfants !

Gérard BONNAFONT/CVN

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