T’as pas un tuyau ?

Dix années déjà que j’ai choisi de vivre au Vietnam. Dix années consacrées à mieux comprendre le Vietnam et les Vietnamiens. Dix années que je continue parfois à patauger devant des pratiques locales. Pour preuve…

«Acculturation : processus par lequel un individu apprend les modes de comportement, les modèles et les normes d’un groupe de façon à être accepté dans ce groupe et à y participer sans conflit». On peut dire que depuis mon installation au Vietnam, je passe mon temps à m’acculturer : la langue, la cuisine, les règles de politesse, les codes sociaux, l’échelle des valeurs… Tout y passe. Telle une éponge, j’absorbe, j’ingurgite, j’ingère, j’avale, j’intègre pour pouvoir m’intégrer. Je parle vietnamien, je pense vietnamien, je rêve vietnamien, je vitupère vietnamien. J’en arrive même, lorsqu’il m’arrive de céder à la tentation d’une baguette croustillante, à me préoccuper de mon visa pour entrer dans une boulangerie française ! On ne peut pas dire que je ménage mes efforts pour m’assimiler. Et pourtant, j’en arrive encore à rester méduser devant des comportements qui, ici, sont d’une banalité à pleurer, mais qui, vus d’ailleurs, paraissent totalement incongrus.

Sous les bambous, tuyau baladeur !


Être tuyauté
Ce matin de juin, je suis de retour d’un bref séjour en France. Malgré un voyage dans les meilleures conditions (Merci le programme de fidélité de ma compagnie aérienne !), je suis un peu cotonneux. Décalage horaire, films à la demande, et petits soins permanents du personnel de bord n’encouragent pas le sommeil, même en siège-couchette ! Quand je descends du taxi qui m’a amené de l’aéroport, j’ai l’impression d’avoir la gueule de bois d’un noctambule qui aurait abusé de substances illicites épicées de boissons hautement alcoolisées. C’est donc d’un pas incertain que je vise l’entrée de ma «ngách» (petite ruelle). Pas le moment de m’écraser avec armes et bagages, sans les premières, sur le mur de la «nhà van hoá» (maison de la culture), qui monte la garde au coin de la ruelle. Seul étranger dans le coin, je me dois de représenter dignement l’Occident ! Je n’avais pas téléphoné chez moi pour signaler mon arrivée. J’aime revenir chez moi au petit matin, quand toute la maisonnée dort encore, déposer mes valises dans l’entrée, et gravir doucement les escaliers, déposer un baiser sur le front de ma fille qui ne se doute pas que son papa est si près, puis aller sortir Morphée par la peau du dos pour qu’il me rende mon épouse ! Après, la suite ne vous regarde plus…
C’est donc sur ces images de quiétude familiale que je stoppe devant la grille de ma maison. Je n’ai pas le temps de sortir la clef de ma poche que ma femme apparaît pour m’ouvrir la porte. Mon bonheur de la retrouver n’a d’égal que la perplexité dans laquelle me plonge sa présence dans la cour à cette heure matutinale. Je n’ose imaginer le retour d’une nuit de bamboche ou le départ aux premières lueurs de l’aube d’un «coucou» ayant profité de mon absence. Ma surprise devient stupéfaction quand je constate que ma charmante moitié est en… maillot de bain ! En d’autre temps et d’autre heure, le spectacle pourrait être charmant, voire émoustillant. Mais à 07h00 du matin en ville, il a de quoi me faire demander si je suis bien réveillé, ou si je ne serais pas en train de dormir dans l’avion...
C’est le trou dans le sol du garage qui me ramène sur terre et, malgré la situation pour le moins curieuse, me rassérène. D’autant que mon épouse, consciente de ma confusion mentale, s’empresse de m’éclairer. Suite à des travaux de voierie, nous avons des difficultés d’approvisionnement d’eau dans la maison. Pour nous irriguer, il a fallu tirer un tuyau en caoutchouc depuis la maison du frère de la propriétaire, à 50 m de là. Mais pour d’obscures raisons que je ne cherche pas à comprendre, entre cuve de réserve, pompe et citerne, il y a eu quelques conflits dont a pâtie la propreté de l’eau qui s’écoule des robinets. Et sauf à ce que je ressorte de la douche la peau couleur ocre, il faut rendre à notre eau sa limpidité originelle.
Avoir un bon tuyau
Voilà pourquoi, à cette heure indue, ma femme est descendue en tenue de bain, dans la citerne à eau qui s’étend sous notre garage, pour en vider totalement le contenu, la récurer avant d’ouvrir les vannes à nouveau…
Vous me direz que ceci n’a rien de culturel, et que toute maison qui dispose d’une citerne à eau et tout mari qui dispose d’une épouse attentionnée se verraient dans la même situation en des circonstances identiques, que l’on soit au pays des fromages ou au pays des génies du foyer. Et vous auriez raison, car ce n’est pas l’ouverture momentanée de bains romains dans ma maison qui m’éberlue, mais simplement ce bête tuyau de caoutchouc qui part du bout de la ruelle, traverse sans gêne trois terrasses de maisons voisines non concernées par notre affaire, zigzague au milieu des étendoirs à linge dégouttant d’une eau claire et n’ayant que faire de notre eau sale, joue à saute machine avec des accessoires de sport dont les utilisateurs sont peu soucieux de notre eau trouble. Et ceci sans qu’il y ait besoin d’une quelconque enquête préalable pour obtenir des autorisations de passage !
Par la suite, on m’expliquera que le jour ou la pollution et la sécheresse sont apparues de concert, il a suffit d’un coup de fil au propriétaire pour que deux heures plus tard apparaisse le tuyau. Chaque voisin étape passant le relais au suivant, sans autre explication que le besoin dans lequel se trouvait la famille du «Tây» (Occident) à l’autre bout !

À ciel ouvert, de bon matin !


Bien évidemment, soucieux de la gêne occasionnelle ainsi provoquée dans mon voisinage, j’ai demandé combien de temps nous serions sous perfusion vicinale. La réponse est à hauteur de la solidarité locale : «Je ne sais pas, peut-être deux ou trois semaines !». Et ça, pour un Occidental habitué aux pratiques procédurières dès lorsqu’un incident se produit en mitoyenneté, c’est toujours stupéfiant !
Pourtant, je devrais avoir l’habitude : le câble télévisuel est partagé avec le voisin de devant, de nombreux boîtiers électriques desservent plusieurs maisons, Internet se partage allègrement… Bref, tout ce que les professionnels désignent sous le nom de fluides domestiques peut avoir source commune sans que ceci ne pose problème à personne ! Même le règlement mensuel aux compagnies concernées et la répartition des quotes-parts semblent clairs. Le préposé vient réclamer son dû, et ensuite par je ne sais quelle clé de répartition chacun vient apporter son écot au voisin référent. Jamais de chicane : tout coule de source ! Encore un sujet d’étonnement permanent pour moi… De quoi s’y perdre dans les tuyaux !!!

Texte et photos : Gérard BONNAFONT/CVN

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