Pha nguc, la gazette des prisonniers de Chi Hoà

Kiêu Xuân Cu, 90 ans, de la ville de Nha Trang, est fier de conserver intact un exemplaire de la gazette Pha nguc datant de 1954. Une publication périodique des révolutionnaires emprisonnés à Saigon (ancien nom de Hô Chi Minh-Ville), à la période coloniale.

Le nonagénaire Kiêu Xuân Cu montre certaines pages légèrement déchirées de la gazette Pha nguc datant de 1954

Pha nguc (littéralement briser la prison), était une gazette des révolutionnaires détenus dans la prison de Chi Hoà, à Saigon, pendant la première guerre d’Indochine (1945-1954). Avec le temps, elle est tombée dans l’oubli. Mi-2012, à Nha Trang, province de Khanh Hoà (Centre), le docteur Kiêu Xuân Cu, 90 ans, a fait connaître une ancienne gazette titrée Pha nguc-Xuân Giap Ngo 1954 (numéro du printemps de l’Année du Cheval 1954) qu’il conservait précieusement.

Avec soin, le nonagénaire Kiêu Xuân Cu prend sa «relique» en main. Une gazette de 36 pages, avec certaines pages légèrement déchirées, dont le papier a viré au jaune. «Pha nguc était la voix de la Fédération des prisonniers communistes à Chi Hoà. Ce numéro est celui du Têt du Cheval, que je garde depuis soixante ans», confie-t-il, fier de l’article La lettre du printemps qu’il a lui même écrit. À la Une, l’image de deux jeunes (un homme et une femme) marchant à côté de deux chevaux ; et à la dernière page, un pigeon en vol sur fond de carte de l’Indochine. «La première image traduisait notre volonté au progrès, la seconde notre aspiration à la paix en péninsule indochinoise», explique-t-il. Ce numéro du Têt comprend 50 articles de divers genres : dissertation politique, commentaire, narration, nouvelles, écrits, poèmes, caricatures, jeux populaires, musique… agrémentés de dessins évoquant l’atmosphère du Têt : fleurs de pêcher et d’abricotier, paysages printaniers, génies du foyer se rendant au Ciel.

Les prisonniers en lutte

Kiêu Xuân Cu est un docteur en médecine retraité, habitant de Nha Trang. Durant la résistance anti-française, il était membre du Service des renseignements du Viêt-Minh (Ligue pour l’indépendance du Vietnam), et menait des activités secrètes à Nha Trang et Saigon, villes coloniales. En 1952, il a été arrêté et incarcéré à la prison de Chi Hoà. Face à la répression ennemie, les prisonniers communistes ont persévéré dans la lutte révolutionnaire. «On a mille et une manières de lutter, dont la rédaction et la publication d’un journal», précise Kiêu Xuân Cu, fier d’avoir été parmi les journalistes du Pha nguc.

La Une avec l’image de deux jeunes marchant à côté de deux chevaux.

Le Pha nguc est né en 1946 dans la Grande prison de Saigon, à l’initiative de Huynh Tân Phat, un architecte patriote emprisonné (de 1946 à 1949) par l’ennemi (*). Sous sa direction, les prisonniers dits «politiques» (communistes) poursuivaient la lutte patriotique à leur façon, organisant des manifestations contre les mesures drastiques à l’encontre des détenus, revendiquant le droit d’apprendre… Et de créer des groupes spécialisés dans l’éducation, la santé, l’ordre, la nourriture...

«Nous étions 50 à 60 dans chaque cellule. Loin d’être démoralisés, nous observions bien les règlements du Parti communiste, tenant périodiquement, en secret bien sûr, des réunions, des séances d’enseignement général et de politique, publiant des bulletins d’information dont notamment la gazette Pha nguc», se souvient le nonagénaire. Et d’ajouter avec fierté que les prisonniers n’ont jamais oublié de célébrer les événements commémoratifs importants du pays, lors desquels étaient accrochés au mur de la prison le drapeau de la Patrie et le portrait du Président Hô Chi Minh - deux objets précieux qu’ils gardaient jalousement.

Une gazette imprimée en cachette

Dans la prison de Chi Hoà, l’apparition de la gazette Pha nguc a vraiment été une action d’éclat. D’une périodicité de 45 à 60 jours environ, elle était attendue comme une «nourriture de l’esprit» par les détenus.

Pour chaque publication, la «rédaction» encourageait la participation de tous les prisonniers en tant que «journalistes» ou «dessinateurs». Après dix jours de création, les «œuvres» étaient remises à la rédaction, avant d’être mises en page.

La plus difficile était l’étape d’impression qui nécessitait moule, encre, couleurs, papier… «Ce matériel devait passer par plusieurs portes de la prison, à travers des soutiens secrets qu’étaient avocats, cuisiniers, parents et amis des prisonniers», révèle Kiêu Xuân Cu. Le moule était confectionné à partir de poudre de riz gluant qu’on cachait au dessous des boîtes d’aliments. Les bâtons d’encre étaient introduits secrètement grâce à des avocats sympathiques. Quant aux couleurs, les détenus utilisaient des produits pharmaceutiques comme mercurochrome pour le rouge, lotion de gale pour le vert, antiseptique de potassium pour le violet, quinine pour le jaune… Enfin, le papier blanc était régulièrement fourni par la prison à la demande des détenus sous prétexte d’avoir de quoi d’apprendre.

«L’imprimerie fonctionnait la nuit, même dans la cellule, avec comme +table+ une poubelle renversée. Comme on ne pouvait imprimer que 25 pages par nuit, on devaient passer plusieurs nuits pour sortir quelque 40 exemplaires d’une gazette de 36 pages», explique l’ancien journaliste de Pha nguc. Après la publication, la gazette était transmise de main en main, de salle en salle, chez les prisonniers qui la dévoraient avec intérêt, sans que les garde-chiourmes ne la décèle, bien qu’ils connaissaient sa présence.

Un numéro spécial sur l’Oncle Hô

Avec émotion, Kiêu Xuân Cu s’est remémoré le numéro spécial sur le Président Hô Chi Minh. «Ce numéro précieux, je l’ai offert à l’Oncle Hô lui-même en 1960, lorsque j’ai eu l’honneur de le rencontrer à Hanoi», explique-t-il. Et de poursuivre : «L’Oncle Hô était très ému en apprenant le sentiment affectueux des militants à son regard. Pour lui, la présence de la gazette Pha nguc dans la prison ennemie a traduit la vaillance et l’esprit indomptable des révolutionnaires vietnamiens».

Les prisonnières à Chi Hoà ont aussi publié leur gazette, titrée Tung xiêng (Briser les menottes), selon Kiêu Xuân Cu. Outre ces gazettes, il garde comme souvenirs d’autres bulletins dont Lua dâu tranh (Flamme de la lutte), Ban an xâm luoc Phap (Procès contre les agresseurs français), le recueil de poèmes Cam thu (La haine)…

À noter qu’après la signature des Accords de Paris sur le Vietnam en 1954, la paix a été établie au Nord. Remis en liberté, Kiêu Xuân Cu s’est rendu à Hanoi où il a fait des études à l’Université de la médecine, avant de travailler à l’hôpital Viêt Duc. Après la libération du Sud en 1975, le docteur Cu est revenu dans sa ville natale de Nha Trang, travaillant à la Polyclinique de Khanh Hoà jusqu’à sa retraite.

Nghia Dàn/CVN

(*) Ndlr : L’architecte Huynh Tân Phat (1913-1989) est entré dans l’histoire nationale en tant que président du gouvernement révolutionnaire provisoire du Sud du Vietnam (1969-1975), vice-Premier ministre du Vietnam (1976-1981), vice-président du Conseil d’État du Vietnam et président du Front de la Patrie du Vietnam (1982-1989).

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