Diên Biên Phu : les émotions d’un soldat 60 ans après

Je suis partie à la rencontre de Dô Ca Son un jour d’avril, chez lui, dans le quartier de Truong Dinh, arrondissement de Hoàng Mai, Hanoi.Âgé de 82 ans, ses pas sont lents et ses yeux semblent très fragiles, mais il se souvient encore parfaitement de la victoire de Diên Biên Phu.

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M. Ca Son (avec les lunettes) accompagné d’un ami ancien combattant à Diên Biên Phu.

«Je suis tout simplement normal. Je n’oserais pas dire que je suis un bon soldat, c’est tout !», me confie Dô Ca Son, de sa voix très douce. De taille moyenne, d’apparence distinguée et courtoise, les cheveux blancs... Je l’ai immédiatement apprécié, dès les premières minutes de notre rencontre.

Né en 1932, M. Ca Son s’est engagé dans l’Armée populaire vietnamienne à l’âge de 17 ans. En 1954, le jeune homme est parti à Diên Biên Phu, alors qu’il n’avait que 22 ans. Il s’est retrouvé soldat sur la colline A1 (Éliane 2 pour les combattants français) où il est resté 38 jours.

Émotions sincères envers l’ennemi

À l’approche de la célébration du 60e anniversaire de la victoire de Diên Biên Phu, le souvenir des ces journées difficiles l’envahissent à nouveau. Chaque fois qu’il se rappelle de ses amis de tranchées, il ne peut cacher ses émotions. «Quand j’évoque la bataille de Diên Biên Phu avec mes élèves et mes étudiants, je ne leur parle pas de l’esprit courageux des soldats vietnamiens, ni même des vagues d’assaut. Je leur raconte que la colline A1 s’étendait sur une superficie de 2.000 m², qu’environ 3.000 soldats vietnamiens y ont trouvé la mort et que chaque centimètre de terrain était inondé du sang de nos frères d’armes. Je leur ai expliqué que s’ils se rendaient sur cette colline, il leur faudrait mettre des bâtonnets d’encens absolument partout. Les jeunes ont beaucoup pleuré», confie M. Ca Son.

Le Musée de l’histoire militaire du Vietnam raconte quelques passages de la bataille
de Diên Biên Phu.

Les souvenirs de Diên Biên Phu restent toujours dans sa mémoire. M. Ca Son était cadre de la section des renseignements, bataillon 251, régiment 174, division 316. Le jeune soldat a pleuré à moult reprises devant la mort de ses camarades, mais aussi devant celle des soldats français. «Quand certains disent +piétiner les cadavres ennemis pour avancer+, c’est de la littérature. Nous, en réalité, nous avons vraiment marché sur le corps de nos ennemis, mais aucun être humain n’est fier d’enjamber le corps inanimé d’un autre. Sur la colline A1, les morts à enterrer étaient trop nombreux. La pluie, le soleil et les combats n’ont pas été cléments pour eux. On devait couvrir certains endroits avec des morceaux de parachutes. On hésitait à se déplacer entre les tranchées car la glaise collait aux semelles de chaussures. La boue était un mélange de sang et de chair de nos camarades et de nos adversaires», révèle M. Ca Son.

Un professeur après la guerre

Le jeune soldat connaissait le français : «J’entendais parfois des soldats adverses crier avant de mourir. Des frères d’armes me demandaient alors +Que dit-il ?+. Je leur répondais +Il appelle sa maman+. Les autres sont nos cibles. Mais on sait aussi que ce ne sont pas eux les responsables. Le véritable responsable, c’est le colonialisme. On sait que ces gens veulent nous tuer comme nous voulons les abattre. Mais mourants, mercenaires ou colonialistes, ils sont comme nous : des jeunes hommes qui n’ont pas encore de femmes et qui invoquent leur maman avant de s’éteindre».

À la fin de la guerre, Dô Ca Son est retourné à son quotidien. Il a travaillé 34 ans en tant que maître de conférences au Département de la langue russe à l’École normale supérieure des langues étrangères (maintenant Université des langues étrangères, Université nationale de Hanoi).

Il est le premier enseignant dans le secteur des langues étrangères du Vietnam à s’être vu offrir le titre de «Professeur émérite» en 1989. Une fois à la retraite, M. Ca Son a été invité à plusieurs reprises pour discuter avec des jeunes français et francophones. Il leur a parlé, non seulement de la bataille de Diên Biên Phu, mais aussi de la culture vietnamienne, du bouddhisme et du confucianisme.

À l’âge de 82 ans, sa santé s’est beaucoup dégradée. «Mes yeux sont devenus très fragiles à cause d’un glaucome, mais j’aime encore lire», explique M. Ca Son. Pour ne pas perdre sa maîtrise de la langue française, qu’il a étudiée dès l’enfance et qu’il apprécie infiniment, l’ancien combattant de Diên Biên Phu aime lire les revues hebdomadaires du Courrier du Vietnam. «J’ai beaucoup appris à travers ce journal francophone. J’aime aussi beaucoup les bulletins en français diffusés à la télévision vietnamienne».

Après avoir dit au revoir à M. Ca Son, je garderai toujours le souvenir de ces heures de bavardage avec lui, soldat sorti vivant de la bataille de Diên Biên Phu qui a vécu les journées difficiles et inoubliables pour toute la nation vietnamienne.

Texte et photos : Phuong Mai/CVN

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