Déguster oui, flasher et tweeter non : en France les chefs se rebiffent

Ne vous étonnez pas de voir un appareil photo barré en bas de la carte du cuisinier étoilé Alexandre Gauthier : comme lui, plusieurs chefs s’agacent de voir des clients, téléphone en main, prendre des photos de leurs plats pour les poster sur les réseaux sociaux.

Gilles Goujon, chef trois étoiles à L’Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse (Sud-Ouest) prend l’exemple de son œuf de poule «pourri» de truffes. «Si les gens le prennent en photo coupé et l’envoient sur les réseaux sociaux, ça enlève la surprise». «On enlève aussi un peu ma propriété intellectuelle, on peut être copié», se plaint le chef. Sans compter qu’une «photo prise avec un smartphone pas terrible est rarement bonne». «Ça ne donne pas la meilleure image de notre travail. C’est embêtant», poursuit-il.

 

Photographier un plat est devenu tendance. Si bien que ce logo figure maintenant au menu de certains restaurants.

Il se plaint d’une blogueuse qui avait critiqué la cuisson de son pigeon, photo à l’appui, mais présentant l’oiseau non découpé. «Donc on ne voyait pas la cuisson du pigeon !», lâche le chef, toujours énervé, plusieurs mois après les faits.

Les chefs français ne sont pas les seuls à se plaindre. Dans le New York Times, des chefs de la «Grosse pomme» dénonçaient récemment l’attitude de certains clients, debout sur leur chaise pour prendre la meilleure photo possible, qui utilisent le flash, voire des trépieds en plein restaurant. Conséquence : quelques-uns interdisent aux clients de prendre des clichés.

«Beaucoup de gens» prennent des photos, «c’est compliqué d’interdire», confie Gilles Goujon. «Je cherche une phrase à écrire (sur le menu, ndlr), mais je n’ai pas encore trouvé la bonne formule, qui ne soit pas choquante».

Alexandre Gauthier, chef du restaurant la Grenouillère, à La Madelaine-sous-Montreuil (Nord), a, lui, représenté un appareil photo barré sur sa carte. «Les photos ne sont pas interdites, mais je veux créer l’interrogation», a-t-il expliqué.

«On n’arrive pas à déconnecter les gens», déplore le chef étoilé, âgé de 34 ans, tout en assurant qu’il ne s’agit que d’une minorité de clients.

Publicité gratuite

«Avant, ils faisaient des photos de famille, de la grand-mère, et maintenant on fait des photos de plat», note-t-il. «C’est gratifiant, mais nous sommes une maison où il y a peu d’éclairage, donc il faut le flash. Et puis, si à chaque plat, c’est du +Stop, on arrête tout+ ou du +Il faut refaire la photo trois fois+...». «On tweete, on like, on commente, on répond. Et le plat est froid», lâche-t-il encore.

Gilles Goujon, chef étoiléde l’Auberge du Vieux Puits à Fonjoncouse (France)

«Si vous êtes avec votre amoureux, soit ça le fait marrer soit il fait la gueule», prévient-il.

«Il y a des moments pour tout. (...) On essaie de créer une parenthèse dans la vie de nos clients. Pour ça, il faut déconnecter du portable». Mais «on ne va pas cracher dans la soupe. On est conscient de ce que ça apporte», relève le chef.

«Les chefs, plus on parle d’eux, mieux c’est», juge de son côté Stéphane Riss, du blog Cuisiner en ligne. «Les photos, c’est un accélérateur de visibilité et donc de chiffre d’affaires». Les réseaux sociaux, c’est «une publicité gratuite» pour les chefs, estime le blogueur, présent sur Facebook, Twitter, Instagram, Google +, Pinterest.

En revanche, «il faut que les chefs soient au top tous les jours, car il suffit d’une erreur, et elle part sur internet».

«Il faut vivre avec son temps!», se résigne quant à lui David Toutain, chef chouchou des critiques, qui a ouvert son restaurant en décembre à Paris. «Je pense que les réseaux sociaux m’ont aidé au début et m’aident toujours. Ça nous fait de la pub», dit-il.

Quand il était chef à l’Agapé substance, des clients venus de Nouvelle-Zélande lui avaient expliqué qu’ils connaissaient sa cuisine, sans l’avoir goûtée... grâce aux réseaux sociaux.

 

AFP/VNA/CVN

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